A l’attention des sceptiques comme des crédules, de ceux qui doutent, de ceux qui sont sûrs d’eux ou sûrs de rien.
Avant de commencer à publier sur l’Esprit Critique, je souhaite en préambule publier cet article, qui me permet de faire le pont entre mon propre vécu d’apprenti-chercheur, le monde de la recherche scientifique, et le citoyen-sceptique qui cherche à connaître la vérité pour les raisons qui sont les siennes (utilité pratique, confort psychologique, curiosité intellectuelle, développement personnel, valorisation sociale, …).
Si je n’ai pas la prétention d’être totalement grand public – du fait du format long, spécialisé et intellectuel de mes travaux – mon objectif reste la démocratisation des savoirs, qui permet, je le pense, de contribuer à l’émancipation et à l’épanouissement supérieur de tous, c’est à dire, en des termes plus accessibles, mais aussi plus discutables, à la liberté et au progrès.
Si vous n’avez pas de définition précise de l’Esprit Critique, le « réflexe Wikipédia », l’encyclopédie libre par excellence, est un bon point de départ : https://fr.wikipedia.org/wiki/Esprit_critique
Esprit Critique et Pensée Critique : Une contradiction à l’épreuve du doute
L’Esprit Critique, nous le verrons plus en détail dans d’autres articles, se définit simplement comme l’art du doute, c’est-à-dire l’ensemble des capacités et attitudes permettant de discerner le vrai du faux par des raisonnements rigoureux ainsi que l’étude des faits, pour se forger un avis autonome et objectif.
Pourtant, cette définition générale naît d’une contradiction insoluble.
En effet, l’art du doute, défendu par les sceptiques de la Grèce Antique, statuait l’impossibilité de fonder une connaissance/vérité absolue !
Au mieux, on ne pouvait établir que des vérités probables et temporaires, et dans tous les cas, le meilleur moyen de ne pas trop s’éloigner de la vérité était de suspendre son jugement.
Par ailleurs, cela signifiait que cette vérité relative ne pouvait émerger que de la pensée collective, et que l’homme ne pouvait rien assurer par lui-même.
Les sceptiques étaient donc, et sont encore, des pessimistes relativistes.
L’homme est condamné à ne rien savoir par lui-même, malgré tous les efforts qu’il peut fournir. Tout du mieux, il peut veiller à moins se tromper que les autres.
Il n’est donc pas étonnant, bien qu’eux-mêmes s’en défendent, que les sceptiques aient une conception stoïcienne de la pensée :
On doit chercher à apprendre autant qu’on le peut, mais il est vain et même contre-productif que de chercher à tout savoir. La quête de savoir n’est pas tant un loisir, qu’une nécessité, pour être, autant que possible, maître de son destin.
A l’inverse, la conception moderne de l’Esprit Critique est beaucoup plus offensive.
Premièrement, car là où l’Esprit Critique n’est qu’une attitude, une méthode de vérification, qui invite à éternellement suspendre son jugement, la Pensée Critique, au contraire, est une démarche de rationalité active dont la vocation est de fonder un jugement !
Ce qui aurait pu n’être qu’une évolution sémantique, est en réalité un véritable renversement de paradigme :
Là où l’Esprit Critique était un bastion, dernier rempart protégeant l’homme de sa cuisante ignorance, la Pensée Critique est un conquérant, premier bélier brisant les certitudes des hommes.
Ainsi, ces « nouveaux » critiques, se qualifiant parfois de « bons sceptiques », sont, à l’inverse des sceptiques, des optimistes absolus.
Nulle vérité n’est inaccessible à l’homme qui mobilise assez les moyens de sa pensée pour l’obtenir. L’homme peut savoir, même si ce savoir est potentiellement infini, et change avec le temps.
La quête de savoir devient alors un loisir : chacun à le choix et la possibilité de plus ou moins bien connaître la vérité, selon les efforts qu’il est prêt à y consacrer.
Que ce nouvel esprit critique prospère par le triomphe du libéralisme philosophique, il est difficile d’en douter. La pensée individuelle est revalorisée en même que l’on reconnaît à l’individu le droit à sa liberté.
Pourtant, la pensée collective traverse les mêmes mutations.
Alors que les fondements philosophiques de la science sont fondamentalement « négativistes », car l’expérience est perçue comme globalement trompeuse et que la vérité ne peut résider que dans la validité des raisonnements logiques ; la science moderne épouse totalement le positivisme, et considère l’expérience et l’observation comme le moyen le plus légitime de créer des connaissances, et de faire reculer inlassablement les frontières de l’ignorance.*
*Cependant, nous le verrons dans d’autres articles, l’évolution historique des sciences se caractérise plutôt par des aller-retours et des ruptures incessantes entre progrès et déclin, plutôt que par une évolution linéaire et croissante de l’étendue des savoirs.
Ainsi, il nous faut, avant de pouvoir prétendre à l’intelligence des « critiques », réconcilier ces deux définitions.
Une définition de l’Esprit Critique se réduisant à « l’art du doute » suppose 3 dispositions de l’esprit :
1. L’indépendance
Premièrement, un travail indépendant de la pensée (1) : car il n’est pas question d’accepter ou de refuser quoi que ce soit, sans fournir un travail personnel de compréhension.
2. L’Ouverture
Cette indépendance n’est cependant pas isolée du monde social : En effet, l’art du doute conduit à écouter une gamme plurielle d’avis contradictoires, afin de se forger un avis entre tous (a), ainsi que de recouper les faits (b), afin d’avoir la connaissance la plus objective du réel. Remplir ces deux conditions en appelle à une ouverture d’esprit (2), qui n’est guère compatible avec l’idée que l’on se fait d’un penseur indépendant, ermite des savoirs vulgaires car communs.
3. L’Humilité
Enfin, la troisième qualité est celle que l’on oublie le plus souvent, alors qu’elle est probablement la plus essentielle à l’Esprit Critique : L’Humilité (3) .
En effet, l’art du doute commence par l’art de douter de soi. Sinon, comment peut-on s’assurer de la validité de notre propre jugement ? De quel droit pourrions-nous juger les avis des autres sans être au clair sur sa propre pensée ?
Conclusion : L’Esprit Critique est une ATTITUDE
L’art du doute est humiliant pour notre confiance en soi. Il suppose d’accepter la nuance là où nous avons nos certitudes, de se soumettre à des vérités plus compétentes lorsque nous sommes mis face à nos propres turpitudes (= pensée basse moralement et/ou honteuse rationnellement).
Pour cette raison, l’Esprit Critique n’est pour beaucoup que du bon sens.
Car si finalement, rares sont ceux qui affirment ouvertement qu’ils détiennent la vérité (même s’ils n’en pensent pas moins), en revanche, tout le monde ou presque se pense préservé du mensonge et de la tromperie, et assez libre d’esprit pour se méfier de la liberté des autres.
Ainsi, l’Esprit Critique, rigueur désincarnée du doute, nous sert davantage à éloigner le mensonge, qu’à se rapprocher de la vérité.
Elle est, en un sens, le service minimal pour, à défaut de ne pas se rapprocher de la vérité, au moins de ne pas s’en éloigner.
Il en va tout autrement de la Pensée Critique, qui, chantre de la quête individuelle de vérité, incarne les espoirs de discerner le vrai du faux par la raison.
Une définition de la Pensée Critique se mesurant à « la rigueur du raisonnement et l’étude des faits » suppose 3 facultés de la pensée :
1. La (re)mise en question
La Pensée Critique, contrairement à l’Esprit Critique, n’est pas une méthode systématique pouvant s’appliquer indistinctement à tout objet de connaissance.
En Pensée Critique, tout dépend de la question. Il faut être en capacité de SE poser des questions, mais aussi de poser des questions aux autres, puis se mettre dans les capacités et dispositions qui permettent d’y répondre.
Cette faculté englobe la conscience de ses présupposés, la capacité à se concentrer sur une question, mais aussi et surtout, la capacité à (re)formuler ces questions par des processus constants de définition, clarification et de contestation.
Enfin, elle suppose déjà la capacité à interagir avec les autres, que ce soit pour débattre des questions, comprendre leur propre pensée critique et questionner votre propre pensée critique.
Après tout, ne sommes nous pas le pire juge de nous mêmes quand il s’agit de reconnaître nos défauts ?
2. L’analyse des arguments
Cette partie de la Pensée Critique est la plus dialectique.
Il faut être capable de produire des raisonnements déductifs ( = partir d’un raisonnement logique et le vérifier dans les faits) et inductifs (= partir des faits pour construire un raisonnement logique), mais aussi de les identifier chez soi et chez autrui, pour les perfectionner et/ou les corriger.
De même, il faut être capable d’identifier ses propres jugements de valeurs ainsi que ceux des autres, afin de pouvoir soit les inclure soit les écarter de la discussion rationnelle.
Il en va de même pour les définitions et l’évaluation des faits, dont il faut s’assurer qu’elles sont communes, et, si elles sont différentes, de l’intégrer à l’analyse des arguments.
Plusieurs définitions et évaluations des faits peuvent cohabiter en nous-mêmes.
3. L’étude des faits
Ce qui semble être le plus simple, c’est à dire l’observation par nos sens et par notre raison de la réalité, est, dans les faits, la plus difficile à établir.
En effet, on admet souvent qu’aussi percutant que puisse être un argument, il n’a rien de valide sans réalité factuelle et matérielle à laquelle se référer.
Pour ce qui est des faits naturels, cela demande des instruments de mesure et des observations considérables et méthodiques. A notre échelle, nous sommes bien souvent contraints de faire confiance aux spécialistes et la vérité qu’ils ont établie et objectivée.
Pour les faits sociaux, c’est encore pire*, la réalité sociale change au rythme où nous l’observons dont nous sommes tous dépositaires en tant que sujet mais aussi en tant qu’acteur. Toute connaissance que nous produisons sur la réalité sociale vise à la perpétuer ou à la changer.
*Notons cependant que, dans la mesure où l’action humaine est capable de modifier dans une mesure toujours plus large les faits naturels, la frontière entre fait social et fait naturel se fait plus mince, sans se confondre pour autant.
Ainsi, pour partager un même constat avec autrui, on ne peut généralement comprendre et accepter les faits que par procuration, par notre capacité à évaluer la crédibilité d’une source, et à reconnaître la validité rationnelle d’une observation par la méthode qui est employée.
Enfin, on ne peut pas échapper au postulat matérialiste, qui suppose que nous vivons bien DANS la réalité, que l’imagination et la parole ne saurait créer directement la réalité, et qu’il est inconcevable que plusieurs réalités objectives se superposent.
Conclusion : La Pensée Critique est un TRAVAIL
Vous l’aurez sans doute remarqué, la méthode scientifique suit a priori les mêmes principes que la Pensée Critique, et peut sombrer dans les mêmes écueils (subjectivité, instrumentalisation politique, cautionner une vérité absolue, extasier l’individu dans la croyance de sa rationalité, … ).
Contrairement à l’art du doute, la démarche scientifique prend position. Si elle non plus ne statue pas de vérité absolue, elle entreprend une démarche volontaire pour s’en rapprocher.
On comprend ainsi aisément que la Pensée Critique ne saurait être une vertu intuitive et fondamentale comme l’Esprit Critique, mais un travail de réflexion toujours plus approfondi et rigoureux.
Si, par ce moyen, tout le monde peut faire de la science, la différence entre le scientifique et le citoyen est que le premier est un professionnel dont la pensée critique est à la fois le savoir-faire et la production, tandis que nous serions tous des amateurs capables de n’en extraire que de sous-produits.
On comprend ainsi aisément que, si on peut attendre de tout individu de l’Esprit Critique pour lui permettre de s’émanciper de l’obscurantisme, on ne saurait espérer, ni prétendre, que tous puisse pareillement accéder à la Pensée Critique.
Car elle demande un travail que nous n’avons pas tous le loisir d’accomplir, non pas fondamentalement par manque d’intelligence, rassurons-nous sur ce point, mais tout simplement compte tenu des contraintes physiques, spatiales et temporelles qui s’imposent à nous.
Ainsi, passé un certain seuil, nous sommes contraints d’admettre que notre pensée individuelle ne peut reposer que sur un choix de croyances entre ceux qui en savent davantage.
Cela est d’autant plus sensé que les pensées critiques ne travaillant pas sur les mêmes connaissances, doivent nécessairement se confronter et se compléter pour faire progresser la connaissance et la science.
Moi-même qui cherche à développer ma pensée critique dans un certain nombres de domaines précis, est soumis à ces mêmes contraintes dans tous les autres domaines de la pensée critique, et a fortiori dans tous les domaines de ma vie.
Ainsi, a priori, les scientifiques ne sont pas davantage des génies que vous pouvez l’être. (bien qu’il existe des scientifiques de génie !)
Pour autant, la sagesse consiste à les écouter concernant leur domaine de spécialité, de la même façon qu’on fait confiance au boulanger pour nous faire du pain.
Si les représentants de certaines disciplines (médecine, sociologie, …) nous inspirent davantage de méfiance que d’autres, car ils semblent toucher davantage à notre intimité et notre vie personnelle, il n’en reste pas moins qu’en matière de Pensée Critique, nous avons tout à gagner à privilégier la confiance constructive à la méfiance pourfendeuse.
C’est d’ailleurs cette dernière réflexion, qui va m’amener désormais à vous démontrer que le plus crédule et le plus idiot, n’est pas vous qui croyez à tant et tant de choses en toute lucidité, mais bien celui qui pense pouvoir tout comprendre par lui-même et sans croire en rien.
Critique de l’Esprit et de la Pensée : L’imposture des crédules
Deux postures, deux impostures : Le timoré et l’effronté
Aux deux extrémités de la pensée critique, on retrouve deux figures contradictoire, pour l’instant, nommons les ainsi : le timoré et l’effronté.
Avant tout développement, il est nécessaire de comprendre que ces deux figures peuvent résider EN MÊME TEMPS en nous, et que par ailleurs, il existe bon nombre de situations intermédiaires entre ces deux archétypes, et plus largement, que notre pensée critique n’est pas égale selon les sujets.
Enfin, il s’agit là de POSTURES tenues à propos de la connaissance, et nullement d’ESSENCES conçues pour mettre différents types d’idiots dans des cases.
Le timoré :
Le timoré est à la fois celui qui semble le plus méprisé, mais aussi le plus excusable : Il s’agit de celui qui s’en tient à l’Esprit Critique et déclare n’avoir aucune Pensée Critique.
Il persiste à penser que « tout ce qui est intellectuel » n’est pas pour lui, et se complait dans ce qu’il sait déjà. Du moment qu’il peut se ménager le confort de ne pas passer pour un « naïf » ou un « mouton », et se contenter d’énoncés généraux propres à réaffirmer son intelligence (« Ils nous manipulent », « Ils me prennent pour un idiot »), il estime ne rien pouvoir davantage.
L’effronté :
L’effronté, à l’inverse, est souvent perçu comme le plus estimable, mais aussi le plus critiqué : Il s’agit de celui qui revendique sa Pensée Critique et considère son Esprit Critique comme une faculté voire une nature propre à son intelligence.
Celui-là mettra un point d’honneur à avoir son « propre avis » sur tous les sujets, mais se complaira tout autant dans ce qu’il sait déjà ! Là où le timoré est un introverti qui n’a besoin d’avoir raison vis-à-vis de lui-même, l’effronté cherche surtout à avoir raison au regard des autres, bien qu’il le fasse tout autant pour lui-même.
Là où le timoré tient simplement à être « dans la masse », l’effronté cherche à obtenir une « intelligence supérieure ».
L’imposture des crédules
Au-delà de la sincérité ou de l’hypocrisie de chacun, ces deux postures partagent une conception solitaire de l’intelligence, et ne considèrent que leurs propres facultés à avoir assez d’intelligence pour nourrir leurs propres ambitions.
Ces deux archétypes, de façon radicalement opposée, sont pourtant également représentatifs de ce que je qualifie « d’imposture des crédules ».
Ce concept renvoie à l’idée fausse que le crédule est celui qui croit en ce que lui dit les autres, alors qu’en réalité, le crédule est surtout celui qui a une confiance excessive en ce qu’il croit.
Or, selon les lois de l’hubris, ou dans un jargon plus scientifique, la loi de l’erreur fondamentale d’attribution, notre orgueil nous pousse à avoir surtout une confiance excessive dans 2 domaines :
- Quand il s’agit d’attribuer nos réussites et nos qualités à des causes internes. (nos défauts et échecs sont atténués par leur attribution à des causes externes)
- Quand il s’agit d’attribuer les erreurs et les défauts DES AUTRES à des causes internes (leurs réussites et qualités sont minorées par leur attribution à des causes externes).
Les plus crédules sont donc surtout ceux qui sont trop sûrs d’eux, soit dans leur manque d’intelligence (ou celle des autres) ou au contraire de leur trop plein d’intelligence (ou de celle des autres), alors même que les postures du timoré et de l’effronté sont celles qui conduisent le plus l’individu à se comporter comme un imposteur vis-à-vis du niveau « critique » de leur esprit et/ou pensée.
Leur imposture étant de faire croire que ce sont les autres qui sont crédules, alors qu’ils sont eux-mêmes les plus crédules à cause des insuffisances de leurs capacités de jugement et de leurs efforts de confiance.
Moi-même, peut-être davantage que beaucoup d’autres en écrivant cet article, est souvent soumis à ces deux postures si je n’y prend pas garde :
En effet, plus les efforts que je fournis pour développer ma pensée critique sont conséquents, plus je suis frappé et souffre parallèlement, de l’assurance qui m’incite à remettre à leur place les plus paresseux que moi dans mon domaine de compétences tel que je l’ai délimité (faisant alors de moi un effronté), et de l’appréhension qui me fait déplorer mon manque de légitimité existentielle, rationnelle et institutionnelle pour m’exprimer dans mon domaine de compétences tel que je voudrais qu’il soit.
Ainsi, j’estime à la fois être parmi les mieux lotis à l’égard de la connaissance dans l’absolu, et en même temps pitoyable à l’égard de mes facultés comparativement à ceux à qui je me réfère, par perfectionnisme ou par modestie, ce n’est sûrement pas à moi d’en juger.
Il ne fait aucun doute que nous sommes nombreux dans cette situation c’est pourquoi cet article vise tout autant à réhabiliter notre confiance, que ce soit en nous, ou vis-à-vis des autres et des faits, tout en expiant nos démons les plus crédules.
« MOI j’ai un Esprit Critique » : Chronique de ceux qui ne doutent jamais de douter.
Certains d’entre vous sont probablement déjà arrivés à cette conclusion. L’Esprit Critique est à la fois la matrice mais aussi le point aveugle de la pensée.
Tout le monde pense que le monde manque d’Esprit Critique et que s’il en avait davantage tout irait mieux. Mais individuellement, chacun est persuadé d’avoir suffisamment d’esprit critique.
Bien entendu il en va plus largement de l’intelligence, comme l’avait déjà suggéré Descartes :
« Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée : car chacun pense en être si bien pourvu, que ceux même qui sont les plus difficiles à contenter en toute autre chose, n’ont point coutume d’en désirer plus qu’ils en ont ».
Mais l’Esprit Critique a encore cela de vicieux, que, là où il est maintenant communément admis que l’intelligence est non seulement plurielle mais également relative, en revanche l’Esprit Critique poursuivrait une méthode objective, et que le problème résiderait alors que dans le fait de l’être ou plutôt de ne pas l’être, telle est la question.
Mais parmi ceux qui disent douter, il y a évidemment ceux qui ne doutent de rien. Or ceux-là on les reconnaît en premier lieu, parce qu’ils ne doutent jamais de douter. Jamais ils ne doutent que c’est leur esprit critique qui les guide.
Ainsi il en va de ces « libres penseurs », qui sortent des normes établies, de la bien-pensance et de la superficialité, grâce à leur intelligence qui si elle n’est pas supérieure, a au moins le mérite d’être unique, et de ne pas être influencé par les lieux communs.
Cependant, comme je l’avais expliqué dans mon premier article sur l’Esprit Critique, tout discours de cette nature est absolument irréfutable, car tous, dans la posture, choisiront de se réclamer de cette indépendance et de cette causticité perçues universellement tout à la fois comme bonne et subversive.
Or comme toute posture irréfutable et qui peut être universellement partagé, elle n’a aucune valeur de vérité. Et ainsi, même ceux qui pourraient s’en réclamer légitimement, devront démontrer par les faits et par leurs actes un tel postulat.
Ce que je viens de vous dire est un postulat de même nature, visant personne et tout le monde à la fois, il doit être étayé d’arguments pour être crédible.
Ces arguments, les voici :
La première erreur de ces libres-penseurs effrontés et solitaires, n’est ni leur obstination à être libre ni leur prétention à être intelligent.
Il s’agit en réalité de leur refus de toute forme d’intelligence qui pourrait avoir une nature étrangère, à fortiori qui ne soit pas produit par eux-mêmes, à minima qui ne soient pas produites par ce qu’il considère comme étant de « libres penseurs » tout comme eux.
Cette individualisation de l’intelligence est d’autant plus absurde, quand elle est tenue par ceux, qui ont été manifestement les mieux éduqués, dans les meilleures écoles par les meilleures personnes, qu’ils assument souvent de leur propre aveu, pour mieux valoriser leur mérite.
Mais peut être que ceux-là pensent que ceux qui les ont formés sont aussi de purs libres-penseurs, qui n’ont eu qu’à penser par eux-mêmes pour en arriver là où ils sont.
Sans même tomber dans une telle caricature, le raisonnement se tient, tant que le libre penseur est assez abruti, pour penser que c’est avec moins de diversité, moins de points de vue, et moins de connaissances que l’on devient plus intelligent.
En effet l’abruti, étymologiquement, est un lourdaud, un rustre, et même une brute.
Son imbécilité provient surtout du fait que par manque d’empathie et de considération pour les autres, de nombreuses choses pourtant essentielles reste en dehors de sa compréhension.
Tous ces « anti-fragiles » qui se pensent plus raisonnables et plus rationnels, en conspuant toute forme d’émotion et de sensibilité, sont en réalité de véritables handicapés de l’intelligence car leur manque de sensibilité les rend ignorants et aveugles de toute une partie du réel.
En se privant d’une partie de leur faculté, mais aussi de la volonté d’observation, ils se privent de la connaissance des faits, qui est pourtant la plus difficile mais aussi la plus indispensable pour conserver son esprit critique et développer sa pensée critique.
Certains répliqueront peut-être que l’intelligence, comme toute marchandise, perd toute sa valeur si tout le monde est intelligent.
C’est se reposer sur une définition innéiste de l’intelligence, un talent/faculté que certains n’en auraient pas assez tandis que d’autres en auraient trop.
Cela ne saurait être vrai car du point de vue de nos facultés de raisonnement, il est absurde de vouloir être intelligent par distinction, et non pas dans l’absolu.
Si tel est le cas, vivre avec des idiots ne peut que vous faire ambitionner d’être vous aussi un idiot, même si un peu moins que les autres, et il est peut-être déjà trop tard pour vous.
Et pour ceux qui croient à quelconque forme de transcendance, le constat est pire encore :
Car si votre prédécesseur est moins intelligent que vous, ce qui est encore à votre avantage, il ne fait nul doute que votre descendant sera plus intelligent que vous ne l’êtes, surtout s’il prend la peine d’étudier votre cas.
Adam Smith, dans sa conception de la division du travail n’en penserait pas moins.
Comme dans tout le reste de l’histoire humaine, c’est parce que les autres sont plus intelligents dans leurs domaines respectifs, mais aussi plus intelligent dans votre propre domaine, que vous pouvez vous-même être plus intelligent, pour peu qu’ils veuillent bien vous transmettre ou partager, le produit de leur savoir, et que vous ayez suffisamment peu d’orgueil pour les écouter.
Or, même si votre objectif est d’utiliser votre intelligence pour vous distinguer, la réalité la plus mercantile de la connaissance, est que c’est votre travail SOCIAL qui en fait sa spécificité.
Ce travail ne saurait uniquement être intellectuel, il correspond à toute expérience il a toute activité, que vous êtes assez prompts à valoriser et à partager avec autrui, pour recevoir sa propre expérience et sa propre expertise en retour.
D’autres rétorqueront alors « Mais on ne peut pas considérer décemment que toutes les intelligences se valent, certaines sont plus superficielles moins utiles que d’autres. »
Il est tout à fait possible d’argumenter rationnellement selon quelles modalités cet énoncé général peut être vrai, j’ai moi-même mon propre avis sur la question.
Mais quand bien même, il s’agit surtout d’un jugement subjectif, qui, même s’il peut nous faire du bien, est probablement plus superficiel encore que toute superficialité que vous pourriez dénoncer.
La superficialité n’est pas une case dans laquelle on met les gens qu’on n’aime pas. C’est une question qu’on doit d’abord et surtout se poser à soi : « Est ce que je me donne à fond ? Est-ce que je vis ma vie avec suffisamment d’intensité ? Est-ce que je suis à la hauteur de mes nobles principes ? »
C’est votre propre superficialité, vis-à-vis de vos propres jugements de valeur, qui devrait vous préoccuper.
D’autant plus que la superficialité des uns et des autres ne tient pas seulement dans leurs qualités individuelles, mais aussi conditionné par leur environnement et leurs conditions initiales d’existence.
Que l’on croie ou non en la méritocratie en matière d’intelligence, que l’on pense l’inégalité en cette matière juste ou injuste, et que l’on pense que les gens soient responsables de cette injustice ou non ; d’après vous qui est le plus superficiel ?
Celui qui est superficiel parce que c’est un bon à rien ? Ou vous même, qui persévérez dans votre propre superficialité, alors qu’apparemment vous aviez largement le potentiel intellectuel pour qu’il en soit autrement ?
C’est pour toutes ces raisons que je porte sur eux un regard si sévère et si méprisant, car c’est là leur langage de prédilection, à tous ces « assurés du bocal », pédant, provocateur, chevaliers de l’anti-bien-pensance, aveuglés par leur esprit de contradiction superficiel dont ils n’arrivent pas à voir les contours, car leur courte vue découle logiquement de leur impécuniosité à, premièrement, véritablement tendre la main à l’autre, et secondement, de faire de la connaissance et de l’intelligence une affaire personnelle.
Ceux-là mêmes qui ont peut-être le plus à cœur d’être plus intelligent que tout le monde, adopte des postures de brute qui leur interdit ironiquement toute forme d’élévation et de domination en ce domaine.
Ceux-là se fourvoient s’ils pensent valoir mieux que les autres.
Les mêmes qui rabâchent que la nature humaine n’est que paresse et félonie, ceux-là mêmes pensent pouvoir en être épargné et préservé, à force de misanthropie, ne peuvent plus prétendre à rien d’autre qu’un prêt-à-penser médiocre, ridicule pour ceux qui ne s’interdisent pas d’avoir recours le plus largement à l’intelligence collective.
Car selon leur propre point de vue, il n’y a que les intelligents pour constater et comprendre la bêtise des moins intelligents.
Et si vous jugez mon propos de l’opprobre de l’arrogance et de la médisance, n’oubliez pas que c’est selon eux que, se plaindre d’être battus par des gens parce qu’ils sont méchants, est une moralité de perdant, nourri davantage par une jalousie de la réussite, qu’un sentiment d’injustice légitime.
« MOI je n’ai pas de Pensée Critique » : Récit de ceux qui doutent en silence
Pour vous, j’ai, non pas plus de compréhension, mais plus de considération.
Nous sommes les plus nombreux, car la confiance en soi est toujours fragile et à redéfinir.
Je ne peux que difficilement et imparfaitement imaginer, ce que ça fait de se résigner, avec des raisons qui relèvent de votre propre expérience : « Le travail intellectuel ce n’est pas pour moi, et de toute façon je n’aime pas ça ».
Voilà ce que j’aimerais vous dire :
Se penser pire que les autres n’a rien de bon et est d’une tromperie supérieure à se penser meilleur que les autres.
On est tous des minables sur tout un tas de point, mais possédons toujours quelques qualités ou moyens de nous rendre utiles ou intéressants.
Moi-même suis le premier bon à rien, et écris après avoir fait tant d’erreurs, même si vous ne le voyez pas !
C’est tellement facile de critiquer quand on ne connaît pas, quand on ne sait pas, même eux peuvent le faire.
Si on vous rétorque que c’est VOUS ne comprenez rien et que de toute façon tout le monde critique sans savoir, dites-leur d’arrêter de se plaindre avec tant de véhémence, le bénin reproche que vous leur faites, à moins bien sûr qu’ils préfèrent être réduits à de fragiles susceptibilités.
Cessez de prendre des pincettes et d’être indulgent, avec ceux qui n’en prennent aucune et n’en ont rien à faire de vous.
Ne laissez pas des brutes vous empêcher de penser, traitez-les pour ce qu’ils sont, des abrutis, avec leurs propres faiblesses.
On se moque des « wokes » en disant qu’ils desservent leur cause, des « Insta-fans » qui se laissent berner par les apparences.
Mais n’est-ce pas encore plus contre-productif et encore plus minable de se moquer des gens idiots ?
On parle de cancel culture et de censure, pour des sujets tellement censurés qu’on n’arrête pas d’en entendre parler.
Oubliant que le plus grand drame c’est l’auto-censure, c’est la censure qu’on ne voit pas !
Chaque fois que vous vous dites : « Je ne peux pas savoir, je ne peux pas comprendre et ma pensée, mon avis, ne valent rien », vous laissez les critiques les plus extatiques, les charognards qui sont prêts à parler même quand ils ne connaissent rien à leur sujet, vous pomper l’oxygène et nourrir votre impuissance.
En ce domaine et comme ils aiment à le répéter on n’est jamais mieux servi que par soi-même : Parlez vous-mêmes, même un peu, même mal, vous ferez toujours plus la différence qu’eux.
Il paraît que la critique les renforce, car leur esprit de contradiction plus que critique se réjouit de ne pas être pleinement approuvé. Dans ce cas, battez-les à leur propre jeu !
Si la critique les renforce, laissez leur critique renforcer votre détermination.
Car il n’y a rien de mieux qu’une critique mal fondée pour renforcer votre conviction, comme eux-mêmes vous l’ont appris.
Faites la différence malgré les donneurs de leçons qui vous disent de ne pas écouter les donneurs de leçons.
En bref, ne laissez pas votre sentiment d’être imposteur, vous empêcher de lutter contre l’imposture.
Il vaut mieux le syndrome de l’imposteur que le syndrome de la (im)posture.
Car un esprit critique, fondamentalement, n’est pas un esprit ou une pensée QUI critique, mais un esprit qui fait de la réflexion un instrument CRITIQUE (càd important) pour changer sa vie et changer la vie.
C’est davantage celui qui accepte de s’exposer à la critique plutôt que celui qui critique. Ils diront de même, mais sachez qu’on ne s’expose pas vraiment quand on ne parvient à s’extirper des lois de l’hubris (ou erreur fondamentale d’attribution)
Vous n’êtes pas des abrutis du moment que vous n’êtes pas des brutes. Vous êtes des brutes du moment que vous ne savez rien faire d’autre que rabaisser les autres pour se valoriser, voilà ce qui fait de vous un « perdant ». Simple, Basique … vous valez mieux que ça. 😉
PS : Si vous étiez un abruti, j’espère que vous l’êtes moins désormais. Ça peut arriver à tout le monde 😉
Pour aller plus loin
BOISVERT Jacques (1999). La formation de la pensée critique. Théorie et pratique, Éditions De Boeck Université
NOTE IMPORTANTE : Ce commentaire, très long, est un complément de cet article, donnant notamment des clés de compréhension pour approfondir la 2ème partie.
Certains éléments présentés ici pourront, soit être ajoutés directement à cet article, ou développés dans d’autres articles.
Bonsoir Nicolas.B, merci de m’avoir lu jusqu’au bout et pour ce commentaire détaillé qui va nous permettre de traiter du fond :
==> Je mets les citations de ton commentaire entre [] et en gras.
[Au-delà du caractère générique de ce terme, serait-ce être un effronté, pour reprendre le mot que tu as choisi d’utiliser, que de penser qu’il existe différents degrés d’intelligence ?] … [Est-ce faire preuve d’hybris que de penser que tous les individus ne sont pas pourvus de la même intelligence, que certains nous surpassent et que d’autres non ? Surtout si on part du postulat que l’intelligence se construit partiellement.]
Il est à noter que je raisonne ici en termes de « types » d’intelligences, et que je me pose ici la question de leur utilité dans la société.
Ainsi, je ne remets pas en cause qu’il puisse avoir des degrés d’intelligence, que ce soit d’un pdv spécifique (des gens meilleurs en maths que d’autres), ou général (qu’on ait besoin de plus d’intelligence pour piloter un avion, que pour être serveur par exemple).
Comme l’intelligence est le fruit de multiples facteurs, l’individu a une responsabilité limitée quant à sa propre intelligence (il peut toujours essayer d’en changer la forme et/ou de l’améliorer, mais cela demandera plus de travail, sera plus difficile et contre-intuitif).
Ce faisant, l’hubris de certains peut paraître déplacé du fait que 1. Ils auraient pu être à leur place, mais surtout 2. Même s’ils sont plus intelligents, leurs choix et spécialisations les rend « idiots » dans la majorité des domaines, et les rend « dépendants » de d’autres intelligences y compris perçues comme « inférieures ».
Il est une chose que de dire que certains sont meilleurs que d’autres, il est plus discutable de se mettre SON intelligence DANS SON ENSEMBLE sur un piédestal (surtout que 80/90% des gens le font plus ou moins).
Concernant la « superficialité » relative des intelligences, comme je le précise juste en dessous, en soi, on peut argumenter rationnellement de quelles intelligences sont plus superficielles que les autres, et j’ai d’ailleurs mon propre avis sur le sujet.
==> Je vais d’ailleurs modifier mon article pour qu’on comprenne que je considère qu’il est tout à fait possible de le faire, ma formulation est ambigüe.
Cependant, j’ai pris le parti-pris de considérer que :
1. Ce jugement est hautement subjectif, et renvoie à la notion de ce qui est utile ou non.
Par exemple, certains pensent qu’il est préférable que certains soient plus « bêtes » (par exemple, les spectateurs de télé-réalité), notamment si cela leur permet de développer d’autres qualités, qu’on rattache moins conventionnellement à l’intelligence (les compétences sportives par exemple). Aussi, il m’a semblé plus sage de ne pas sacraliser outre-mesure l’intelligence académique, littéraire ou mathématique, d’autant plus qu’il semble nécessaire d’avoir une diversité dans les TYPES d’intelligences qu’une société peut produire.
2. Que critiquer sa propre superficialité était beaucoup plus productif que de critiquer celle des autres. Je cherchais notamment à valoriser les jugements rationnels par rapport aux jugements moraux, notamment quand ceux-ci sont portés par des sentiments moraux plutôt qu’une philosophie morale. Et qu’en soit, critiquer la superficialité, c’était bien souvent une posture superficielle.
[Je ne puis me résoudre à réfuter l’existence de génies, qu’ils s’agissent de génies créatifs ou scientifiques cela dit. Il existe des personnes dotées d’intelligence supérieure et c’est une certitude. De même, toutes les intelligences ne se valent pas puisqu’elle est construite par l’habilité à chacun d’exercer un esprit critique, mais également par les vécus, les liens humains et bien d’autres facteurs.]
Mon propos était plutôt de dire qu’il n’était pas nécessaire d’être un génie pour être scientifique, et que, même dans ce cas-là, il valait mieux les écouter dans leur domaine de compétences, de la même façon qu’on ferait confiance au « boulanger moyen ».
Cela est particulièrement vrai dans un contexte où on se méfie de cette « intelligence officielle », car elle a comme spécificité d’être celle qui peut le mieux se légitimer, se penser et se dire par la maîtrise du langage, car c’est notamment cet outil qu’elle utilise et qu’elle exacerbe.
Qu’il puisse y avoir des scientifiques de génie, je ne le remets pas en cause, pas davantage qu’il puisse exister du génie dans toute intelligence (de très bons humoristes, de très bons musiciens), ni que ce génie puisse avoir une part d’inné et/ou d’inexpliqué.
En revanche, je doute beaucoup plus qu’on puisse être un génie dans l’absolu.
Qu’on ait le potentiel pour être bon dans plein de choses oui.
Mais finalement, par les choix que l’on fait, on accepte d’être plus intelligents dans certains domaines, et on dépend de gens plus intelligents que nous dans tous les autres. D’ailleurs la plupart des surdoués et autres génies, ont également des défauts bien identifiés qui les rend d’ailleurs encore plus admirables et intéressants je trouve.
En effet, toutes les intelligences ne se valent pas, et comme tu le précises elles dépendent de « nombreux facteurs », dont un nombre significatif ne sont pas de notre responsabilité et tiennent de la contingence de l’existence. D’où mon argumentaire sur la méritocratie qui suit.
[Par ailleurs, j’ai la sensation que tu tires dans un tas remarquablement flou.]
Ta remarque est très juste et compréhensible.
De mon point de vue, il est rendu flou justement par les postures pris par les uns et les autres et le niveau de généralité des énoncés qui permette l’appropriation tout en dissuadant la pensée.
Peut-être la limite de cet article est de ne pas s’appuyer sur un cas plus concret en exemple, au risque que le propos soit encore davantage politique ?
Le style provocateur et même passif-agressif de cette 2ème partie est d’ailleurs volontaire, mon objectif étant de bousculer ceux qui prennent trop la confiance et de soutenir ceux qui peinent à prendre confiance en eux.
La critique purement rationnelle des raisonnements circulaires ne fonctionne pas sur ceux qui les emploient (contre quelqu’un d’autre ou contre eux-mêmes), aussi, j’assume de chercher à toucher également la corde sensible.
[Penser différemment de l’avis populaire, aujourd’hui bien-pensant serait-il systématiquement une preuve d’hybris ?]
Non ce n’est pas nécessairement une preuve d’hybris (= excès d’orgueil et de confiance en soi), mais cela peut facilement le devenir si « penser différemment » n’est qu’une formule creuse qui témoigne plus d’un simple esprit de contradiction, qu’une critique constructive.
==> J’en reviens ici au fait que c’est une posture, un tel postulat peut être autant tenu par un grand intellectuel que par un complotiste bas de plafond.
==> Le problème du « libre-penseur » dans cette circonstance est d’ailleurs que sa pensée n’a rien de libre : Il disqualifie a priori des avis majoritaires (dévalorise ses qualités intrinsèques, et favorise la cause externe de la « popularité pour qualifier leur succès) et en survalorise son intelligence personnelle (il survalorise ses qualités intrinsèques, et minimise l’apport de la pensée extérieure à lui dans son succès).**
On peut même dire que le « libre penseur » oublie que pour pouvoir s’opposer à une idée/ un courant majoritaire, autant faut-il qu’il existe, et que, par ailleurs, il s’inscrit lui-même dans le sillage d’un ou plusieurs courants contestataires.
==> L’énoncé présenté dans cette partie est davantage une illustration de l’hubris prenant cette posture, plutôt qu’une démonstration rationnelle que les libres-penseurs seraient orgueilleux, car cela serait difficilement démontrable. C’est pourquoi je prends toujours bien soin de mettre cette expression « entre guillemets ».
** Pour mieux comprendre je te conseille d’aller lire le Wiki sur l’Erreur Fondamentale d’Attribution : https://fr.wikipedia.org/wiki/Erreur_fondamentale_d%27attribution
J’ai d’ailleurs déjà eu l’occasion de défendre l’Orgueil lorsque celui-ci se fonde rationnellement, et m’inspirant de la pensée de Montaigne, dont la prétention était justement de penser par lui-même, tout en reconnaissant qu’il puisait pour se faire, dans ses propres expériences, mais également des récits qu’on lui rapportait, et des livres qu’il lisait : https://laugure-critique.net/2020/04/19/philo-confinee-n5-lorgueil-de-lexercitation/
Pour ce qui du présent article, dans le cas particulier des « libres-penseurs », je cherchais notamment à démontrer que la critique de la bien-pensance, est souvent elle-même une bien-pensance, par l’utilisation même de ce mot fourre-tout et disqualifiant, quel que soit le commentaire qui l’accompagne.
J’en fait une critique plus posée dans une partie de mon article précédent sur l’Esprit Critique : https://laugure-critique.net/2021/09/09/linkedin-et-esprit-critique-critique-politique-de-lautosatisfaction/#Penser_Pretention_a_la_raison_et_a_lhumilite
« Avis populaire » et « bien-pensance » sont deux phraséologies qui ont exactement la même fonction et connotation à savoir : La majorité pense « bien-penser » mais elle pense mal (en partie) parce qu’elle est majoritaire (==> la majorité suit une norme arbitraire).
Ainsi je ne vois pas ce qu’apporte le fait de dire que l’avis populaire serait « aujourd’hui » bien-pensant, sauf à dire que la bien-pensance renvoie spécifiquement à un attendrissement du langage, qui dans l’ensemble serait plus lissé et respectueux de tous dans un consensus mou (# on ne peut plus rien dire).
Sauf qu’on peut faire plusieurs objections à cette prétendue « novlangue » qui nous menacerait tous en ne pouvant plus parler de façon cash et conflictuelle :
1. A l’ère d’Internet, la polémique a pris une tout autre mesure ! On remarque plutôt une augmentation de la visibilité des propos outranciers, et qui concernent tous les milieux publics et/ou de pouvoirs (showbiz, politique, milieu intellectuel, médias traditionnels, réseaux sociaux, …). Dans le milieu du journalisme, les éditorialistes ont pris beaucoup plus de place, au détriment des documentaires et du journalisme d’investigation notamment (sans compter le fait que, à la télévision, l’investigation s’est recentrée sur les faits divers plutôt que les grands sujets. Cash Investigation, soutenu par un consortium de journaliste international, fait figure de dernier dinosaure dans le paysage médiatique traditionnel). Ainsi, peut-on vraiment s’étonner de voir parallèlement augmenter l’indignation, qu’elle soit légitime ou non ? Faut-il vraiment y voir une accentuation de la volonté de censure, alors que nous sommes tous exposés à une variété de discours à grande échelle, sans comparaison possible dans notre Histoire ?
2. La « bien-pensance » n’est pas seulement un concept entretenu et qui nourrit le populisme (je précise que je pense qu’il peut y avoir des bons populismes, car ce mot est de toute façon polysémique), il est également méprisant pour le peuple et le populaire. Sa façon de s’offusquer que les choses soient dites en y mettant les formes et avec nuance, est une manière implicite de dire que le peuple serait trop « con », trop « simplet », pour comprendre cette complexité.
Est-il vraiment déraisonnable de penser que, malgré les immenses progrès qu’il nous reste à faire, que la peuple est plus cultivé et « civilisé » aujourd’hui qui ne l’a été autrefois, et que par conséquent il faille élever le niveau du débat ? De plus, l’intelligentsia, l’élite, la noblesse, peu importe comment on l’appelle, a toujours cherché l’entre-soi et à maîtriser les usages et les mœurs de la société sommé de l’imiter ? En quoi est-ce différent ou véritablement plus fort aujourd’hui ? Pourquoi la critique de la « bien-pensance » se concentre-t-elle toujours sur une élite, plus intellectuelle qu’économique d’ailleurs (mais pas toujours), plutôt que de militer pour la démocratisation des savoirs pour les masses ? Il me semble que ce discours critique suscite davantage la division que l’adhésion, et ne contribue donc pas activement à briser cette injustice dans la maîtrise des langages, usages, mœurs et valeurs.
3. Enfin, critiquer la « bien-pensance », ce n’est pas pareil que de critiquer la langue de bois, la démagogie, le détournement cognitif (ou « gaslighting » en anglais) ou même les stratégies de de blanchissement (green-washing, feminism-washing, …).
S’il existe des termes précis, c’est pour mieux décrire la réalité. Si l’usage du terme « bien-pensance » se généralise pour englober tous ces termes, c’est au mieux par inculture ou fainéantise intellectuelle, au pire du mépris de l’intelligence de son auditoire, voire une volonté claire de le manipuler.
Ce qui, vu que tout le ramdam autour de la « bien-pensance » vient d’une accusation selon laquelle les élites (ou en tout cas une bonne partie) mépriseraient le peuple (ce qui est vrai hein difficile de le nier), ce serait sacrément cocasse.
[La généralité de ce passage me fait réagir car lorsque l’on inverse les rôles et qu’on lit cet article, et plus précisément ce passage, j’ai la sensation que sont associés bien-pensants et timorés, et libres-penseurs et effrontés.
En lisant ces lignes, j’ai eu l’impression d’une victimisation de la bien-pensance, peut-être due au positionnement manichéen de ces deux modes de « pensée », ainsi qu’à une catégorisation indiscutable des libres penseurs comme tortionnaires de l’ensemble de la société faisant péché d’hybris.]
Les termes « effronté » comme « timoré » sont effectivement génériques.
Comme précisé, on peut être les deux en même temps puisque ce sont des postures, et d’ailleurs, le propre d’une posture est que tout le monde puisse s’en réclamer, et donc précisément que lorsqu’on « inverse » les rôles, on obtient des jugements semblables.
La construction de cette deuxième partie de l’article est effectivement déséquilibrée :
L’Introduction est dichotomique : Elle oppose les concepts génériques de « timoré » et « d’effronté » tout en les renvoyant plus ou moins dos à dos, les deux qualifiés d’archétypes excessifs, et tout deux responsables de l’imposture des crédules, tout en admettant, d’une part, que l’on puisse tenir ces deux postures coup sur coup, d’autre part, qu’il existait pléthores de nuances à faire entre ces deux postures.
Il me semble d’ailleurs notable de mentionner pour comprendre la suite, que je me reconnais à titre personnel, bien plus dans la critique de l’effronté que celle du timoré.
A l’inverse, les deux parties qui suivent sont construites de manière dialectique (antithèse/thèse), de telle sorte et donc on s’attend à ce que les concepts présentés précédemment soient associés à cette construction. Cela est renforcé par le fait que :
1. Je prends parti (plutôt que d’opter pour un point de vue conventionnel visant à dire que « les fautes sont partagées »)
2. Dans chaque partie, je mets en avant une tendance une seule tendance par un jeu de chassé-croisé. On le retrouve notamment quand je dis :
« La première erreur de ces libres-penseurs effrontés et solitaires, n’est ni leur obstination à être libre ni leur prétention à être intelligent. » (Partie 1)
« Nous sommes les plus nombreux, car la confiance en soi est toujours fragile et à redéfinir. » (Partie 2) ».
J’assume donc de privilégier ces associations dans mon discours et ma narration.
Mais désormais, poussons le modèle plus loin :
Le timoré s’en tient à l’Esprit Critique : Ainsi, il peut très bien être un « libre-penseur » relativiste, qui ne prend jamais position à part pour se mettre en contre, et ne développe pas vraiment sa pensée critique (« Moi je dis ça, je ne dis rien »). Dans ce cas-là, on pourrait même suggérer qu’un tel libre penseur serait en réalité un timoré, même s’il tient une posture qu’est celle de l’effronté, dans ce cas-là, c’est une imposture.
Ou bien il s’agit d’un timoré qui « doute en silence » comme celui que j’ai décrit.
A l’inverse, j’ai présenté l’effronté comme celui qui, dans le débat public, ne peut s’empêcher de ramener sa science par pur hubris et en toute (a)brutalité.
Mais quelqu’un qui « doute en silence » peut être un parfait effronté ! Il détient LA vérité, et sait tout mieux que tout le monde et … s’en tient à l’Esprit Critique !
Ça semble être la même chose … parce que ça l’est ! En fait, être « sûr » d’avoir un ESPRIT Critique et être « sûr » de ne pas avoir une PENSÉE Critique, sont tout à fait compatibles =)
L’Esprit Critique est une composante de la Pensée Critique, elle lui est nécessaire mais pas suffisante. Ainsi, en réalité, les 2 parties sont AUSSI renvoyées dos à dos.
Que ce soit le « libre-penseur » ou celui qui « doute en silence », il est d’ailleurs probable qu’ils emploient les deux postures, passant de l’hyper-certitude à l’hyper-incertitude ou inversement, selon le sujet, mais aussi parfois selon son état d’esprit du moment (pessimiste ? optimiste ? confiant ? méfiant ? hésitant ?).
En particulier, puisque tu te penches sur la « victimisation », il me semble pertinent de dire que les « libres-penseurs » peuvent tout à fait se victimiser (et pour certains, ne s’en privent pas), tandis que « ceux qui doute en silence », s’ils sont souvent présentés comme des victimes, peuvent se comporter en « abrutis », voire tout simplement en brutes (palliant ignorance et/ou incertitude avec force physique et/ou violence verbale/morale).
Ces deux postures sont deux sérieux obstacles à la pensée critique, et travaillent souvent les individus de concert, y compris ceux quand il s’agit d’améliorer notre Pensée Critique, nous sommes toujours sur le fil en trop plein ou trop peu de confiance en nous et/ou en les autres =)
Mais si je sais cela, pourquoi prendre position, et juger plus durement l’effronté que le timoré ?
J’en donne implicitement la raison dans la partie 2.1, mais je vais l’exprimer ici plus clairement :
1. Je pars du postulat que l’effronté est plus dangereux pour les autres, tandis que le timoré est plus une menace pour lui-même, ainsi, des 2 postures, il me semble que l’effronté est la posture la plus menaçante.
2. Au-delà de la structure dialectique, dont je viens de révéler les coulisses (mais seulement après l’article), je poursuis un but rhétorique visant à toucher au mieux ces deux profils, souvent présentés comme opposés alors qu’ils ont pourtant leurs postures en commun.
Or, selon la posture dominante (dont une métaphore pourrait être, la différence entre le verre à moitié-plein et le verre à moitié vide), l’assurance peut prendre deux visages :
A. Elle peut-être un rapport de force et un affrontement, et dans ce cas-là, c’est ce langage brutal, provocateur qui doit être employé pour faire face. Cette assurance peut être le fait de celui qui simule l’intelligence, et celui qui la rejette totalement (ces fameux gens qui disent qu’on est plus intelligent quand on ne réfléchit pas ^^’)
B. A l’inverse, elle peut-être une désespérance voire une méfiance généralisée, qui nécessite de faire appel à un langage plus encourageant pour faire face. Cette (mé)assurance peut-être le fait de celui qui ne croit en rien (« tous pourris », « tous débiles », …), mais aussi de celui qui croit tout savoir (« Pourquoi personne me comprend ? », « Pourquoi je suis le seul à penser ça » ?)
Et je sais qu’il s’agit là, d’un exercice de haute voltige, dont je fais le pari. Avec, comme tu l’as précisé, un contraste clair entre une première partie très factuelle/rationnelle, et une deuxième partie plus engagée.
[Peut-être détourné-je surinterprété-je ton propos, mais malgré la qualité indéniable de ce travail de recherche (notamment la première partie, très instructive), ce passage en particulier m’a fait réagir.]
Content que la première partie t’ai plu, je cherche à mettre tout le monde sur un pied d’égalité avant de développer d’autres aspects plus spécifiques c’est pourquoi j’ai tâché d’être synthétique.
C’est bien normal, le but de la seconde partie était de faire réagir, pour, en quelque sorte, déminer ce terrain miné.
Ton commentaire m’a permis de développer mon raisonnement au-delà de ce que j’avais escompté. Je souhaite vivement que d’autres se joignent au débat dans cet esprit, et pour cela je te remercie d’avoir montré la voie. (Malgré le temps conséquent qu’il m’a fallut pour te répondre XD)
PS : Enrichi de tes questions, je prendrai un moment pour éditer mon article pour que ma pensée soit plus explicite et mon message plus impactant.
Bien entendu ces commentaires seront toujours présents pour témoigner de cette amélioration et de ce changement.
PS 2 : Je viens de voir qu’une journaliste du Monde diplomatique (Evelyne Pieiller) a publié un article intitulé « Pourquoi la gauche perd : Le Choix des mots ». Je ne l’ai que survolé pour le moment, mais je le laisse ici car il me semble que c’est une bonne ouverture à cet article et à notre discussion : https://www.monde-diplomatique.fr/2022/01/PIEILLER/64206
À bientôt sur l’Augure. =)
Si je comprends bien le raisonnement en 2.1, il serait superficiel de penser que toutes les intelligences ne sont pas équivalentes, et que certaines souffrent d’une certaine « superficialité ». Au delà du caractère générique de ce terme, serait-ce être un effronté, pour reprendre le mot que tu as choisi d’utiliser, que de penser qu’il existe différents degrés d’intelligence ?
Je ne puis me résoudre à réfuter l’existence de génies, qu’il s’agissent de génies créatifs ou scientifiques cela dit. Il existe des personnes dotées d’intelligence supérieure et c’est une certitude. De même, toutes les intelligences ne se valent pas puisqu’elle est construite par l’habilité à chacun d’exercer un esprit critique, mais également par les vécus, les liens humains et bien d’autres facteurs.
Par ailleurs, j’ai la sensation que tu tires dans un tas remarquablement flou. Penser différemment de l’avis populaire, aujourd’hui bien pensant serait-il systématiquement une preuve d’hybris ? La généralité de ce passage me fait réagir car lorsque l’on inverse les rôles et qu’on lit cet article, et plus précisément ce passage, j’ai la sensation que sont associés bien pensants et timorés, et libre penseurs et effrontés. En lisant ces lignes, j’ai eu l’impression d’une victimisation de la bien-pensance, peut-être due au positionnement manichéen de ces deux modes de « pensée »., ainsi qu’à une catégorisation indiscutable des libres penseurs comme tortionnaires de l’ensemble de la société faisant péché d’hybris. Est-ce faire preuve d’hybris que de penser que tous les individus ne sont pas pourvus de la même intelligence, que certains nous surpassent et que d’autres non ? Surtout si on part du postulat que l’intelligence se construit partiellement.
Peut-être détourné-je surinterprété-je ton propos, mais malgré la qualité indéniable de ce travail de recherche (notamment la première partie, très instructive), ce passage en particulier m’a fait réagir.