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Pourquoi vous n’êtes PAS des abrutis ? – Du bon et du mauvais Esprit Critique

A l’attention des sceptiques comme des crédules, de ceux qui doutent, de ceux qui sont sûrs d’eux ou sûrs de rien.

Avant de commencer à publier sur l’Esprit Critique, je souhaite en préambule publier cet article, qui me permet de faire le pont entre mon propre vécu d’apprenti-chercheur, le monde de la recherche scientifique, et le citoyen-sceptique qui cherche à connaître la vérité pour les raisons qui sont les siennes (utilité pratique, confort psychologique, curiosité intellectuelle, développement personnel, valorisation sociale, …).

Si je n’ai pas la prétention d’être totalement grand public – du fait du format long, spécialisé et intellectuel de mes travaux – mon objectif reste la démocratisation des savoirs, qui permet, je le pense, de contribuer à l’émancipation et à l’épanouissement supérieur de tous, c’est à dire, en des termes plus accessibles, mais aussi plus discutables, à la liberté et au progrès.

Si vous n’avez pas de définition précise de l’Esprit Critique, le « réflexe Wikipédia », l’encyclopédie libre par excellence, est un bon point de départ : https://fr.wikipedia.org/wiki/Esprit_critique

Esprit Critique et Pensée Critique : Une contradiction à l’épreuve du doute

L’Esprit Critique, nous le verrons plus en détail dans d’autres articles, se définit simplement comme l’art du doute, c’est-à-dire l’ensemble des capacités et attitudes permettant de discerner le vrai du faux par des raisonnements rigoureux ainsi que l’étude des faits, pour se forger un avis autonome et objectif.

Pourtant, cette définition générale naît d’une contradiction insoluble.

En effet, l’art du doute, défendu par les sceptiques de la Grèce Antique, statuait l’impossibilité de fonder une connaissance/vérité absolue !

Au mieux, on ne pouvait établir que des vérités probables et temporaires, et dans tous les cas, le meilleur moyen de ne pas trop s’éloigner de la vérité était de suspendre son jugement.

Par ailleurs, cela signifiait que cette vérité relative ne pouvait émerger que de la pensée collective, et que l’homme ne pouvait rien assurer par lui-même.

Les sceptiques étaient donc, et sont encore, des pessimistes relativistes.

L’homme est condamné à ne rien savoir par lui-même, malgré tous les efforts qu’il peut fournir. Tout du mieux, il peut veiller à moins se tromper que les autres.

Il n’est donc pas étonnant, bien qu’eux-mêmes s’en défendent, que les sceptiques aient une conception stoïcienne de la pensée :

On doit chercher à apprendre autant qu’on le peut, mais il est vain et même contre-productif que de chercher à tout savoir. La quête de savoir n’est pas tant un loisir, qu’une nécessité, pour être, autant que possible, maître de son destin.

A l’inverse, la conception moderne de l’Esprit Critique est beaucoup plus offensive.

Premièrement, car là où l’Esprit Critique n’est qu’une attitude, une méthode de vérification, qui invite à éternellement suspendre son jugement, la Pensée Critique, au contraire, est une démarche de rationalité active dont la vocation est de fonder un jugement !

Ce qui aurait pu n’être qu’une évolution sémantique, est en réalité un véritable renversement de paradigme :

Là où l’Esprit Critique était un bastion, dernier rempart protégeant l’homme de sa cuisante ignorance, la Pensée Critique est un conquérant, premier bélier brisant les certitudes des hommes.

Ainsi, ces « nouveaux » critiques, se qualifiant parfois de « bons sceptiques », sont, à l’inverse des sceptiques, des optimistes absolus.

Nulle vérité n’est inaccessible à l’homme qui mobilise assez les moyens de sa pensée pour l’obtenir. L’homme peut savoir, même si ce savoir est potentiellement infini, et change avec le temps.

La quête de savoir devient alors un loisir : chacun à le choix et la possibilité de plus ou moins bien connaître la vérité, selon les efforts qu’il est prêt à y consacrer.

Que ce nouvel esprit critique prospère par le triomphe du libéralisme philosophique, il est difficile d’en douter. La pensée individuelle est revalorisée en même que l’on reconnaît à l’individu le droit à sa liberté.

Pourtant, la pensée collective traverse les mêmes mutations.

Alors que les fondements philosophiques de la science sont fondamentalement « négativistes », car l’expérience est perçue comme globalement trompeuse et que la vérité ne peut résider que dans la validité des raisonnements logiques ; la science moderne épouse totalement le positivisme, et considère l’expérience et l’observation comme le moyen le plus légitime de créer des connaissances, et de faire reculer inlassablement les frontières de l’ignorance.*

*Cependant, nous le verrons dans d’autres articles, l’évolution historique des sciences se caractérise plutôt par des aller-retours et des ruptures incessantes entre progrès et déclin, plutôt que par une évolution linéaire et croissante de l’étendue des savoirs.

Ainsi, il nous faut, avant de pouvoir prétendre à l’intelligence des « critiques », réconcilier ces deux définitions.

Une définition de l’Esprit Critique se réduisant à « l’art du doute » suppose 3 dispositions de l’esprit :

1. L’indépendance

Premièrement, un travail indépendant de la pensée (1) : car il n’est pas question d’accepter ou de refuser quoi que ce soit, sans fournir un travail personnel de compréhension.

2. L’Ouverture

Cette indépendance n’est cependant pas isolée du monde social : En effet, l’art du doute conduit à écouter une gamme plurielle d’avis contradictoires, afin de se forger un avis entre tous (a), ainsi que de recouper les faits (b), afin d’avoir la connaissance la plus objective du réel. Remplir ces deux conditions en appelle à une ouverture d’esprit (2), qui n’est guère compatible avec l’idée que l’on se fait d’un penseur indépendant, ermite des savoirs vulgaires car communs.

3. L’Humilité

Enfin, la troisième qualité est celle que l’on oublie le plus souvent, alors qu’elle est probablement la plus essentielle à l’Esprit Critique : L’Humilité (3) .

En effet, l’art du doute commence par l’art de douter de soi. Sinon, comment peut-on s’assurer de la validité de notre propre jugement ? De quel droit pourrions-nous juger les avis des autres sans être au clair sur sa propre pensée ?

Conclusion : L’Esprit Critique est une ATTITUDE

L’art du doute est humiliant pour notre confiance en soi. Il suppose d’accepter la nuance là où nous avons nos certitudes, de se soumettre à des vérités plus compétentes lorsque nous sommes mis face à nos propres turpitudes (= pensée basse moralement et/ou honteuse rationnellement).

Pour cette raison, l’Esprit Critique n’est pour beaucoup que du bon sens.

Car si finalement, rares sont ceux qui affirment ouvertement qu’ils détiennent la vérité (même s’ils n’en pensent pas moins), en revanche, tout le monde ou presque se pense préservé du mensonge et de la tromperie, et assez libre d’esprit pour se méfier de la liberté des autres.

Ainsi, l’Esprit Critique, rigueur désincarnée du doute, nous sert davantage à éloigner le mensonge, qu’à se rapprocher de la vérité.

Elle est, en un sens, le service minimal pour, à défaut de ne pas se rapprocher de la vérité, au moins de ne pas s’en éloigner.

Il en va tout autrement de la Pensée Critique, qui, chantre de la quête individuelle de vérité, incarne les espoirs de discerner le vrai du faux par la raison.

Une définition de la Pensée Critique se mesurant à « la rigueur du raisonnement et l’étude des faits  » suppose 3 facultés de la pensée :

1. La (re)mise en question

La Pensée Critique, contrairement à l’Esprit Critique, n’est pas une méthode systématique pouvant s’appliquer indistinctement à tout objet de connaissance.

En Pensée Critique, tout dépend de la question. Il faut être en capacité de SE poser des questions, mais aussi de poser des questions aux autres, puis se mettre dans les capacités et dispositions qui permettent d’y répondre.

Cette faculté englobe la conscience de ses présupposés, la capacité à se concentrer sur une question, mais aussi et surtout, la capacité à (re)formuler ces questions par des processus constants de définition, clarification et de contestation.

Enfin, elle suppose déjà la capacité à interagir avec les autres, que ce soit pour débattre des questions, comprendre leur propre pensée critique et questionner votre propre pensée critique.

Après tout, ne sommes nous pas le pire juge de nous mêmes quand il s’agit de reconnaître nos défauts ?

2. L’analyse des arguments

Cette partie de la Pensée Critique est la plus dialectique.

Il faut être capable de produire des raisonnements déductifs ( = partir d’un raisonnement logique et le vérifier dans les faits) et inductifs (= partir des faits pour construire un raisonnement logique), mais aussi de les identifier chez soi et chez autrui, pour les perfectionner et/ou les corriger.

De même, il faut être capable d’identifier ses propres jugements de valeurs ainsi que ceux des autres, afin de pouvoir soit les inclure soit les écarter de la discussion rationnelle.

Il en va de même pour les définitions et l’évaluation des faits, dont il faut s’assurer qu’elles sont communes, et, si elles sont différentes, de l’intégrer à l’analyse des arguments.
Plusieurs définitions et évaluations des faits peuvent cohabiter en nous-mêmes.

3. L’étude des faits

Ce qui semble être le plus simple, c’est à dire l’observation par nos sens et par notre raison de la réalité, est, dans les faits, la plus difficile à établir.

En effet, on admet souvent qu’aussi percutant que puisse être un argument, il n’a rien de valide sans réalité factuelle et matérielle à laquelle se référer.

Pour ce qui est des faits naturels, cela demande des instruments de mesure et des observations considérables et méthodiques. A notre échelle, nous sommes bien souvent contraints de faire confiance aux spécialistes et la vérité qu’ils ont établie et objectivée.

Pour les faits sociaux, c’est encore pire*, la réalité sociale change au rythme où nous l’observons dont nous sommes tous dépositaires en tant que sujet mais aussi en tant qu’acteur. Toute connaissance que nous produisons sur la réalité sociale vise à la perpétuer ou à la changer.

*Notons cependant que, dans la mesure où l’action humaine est capable de modifier dans une mesure toujours plus large les faits naturels, la frontière entre fait social et fait naturel se fait plus mince, sans se confondre pour autant.

Ainsi, pour partager un même constat avec autrui, on ne peut généralement comprendre et accepter les faits que par procuration, par notre capacité à évaluer la crédibilité d’une source, et à reconnaître la validité rationnelle d’une observation par la méthode qui est employée.

Enfin, on ne peut pas échapper au postulat matérialiste, qui suppose que nous vivons bien DANS la réalité, que l’imagination et la parole ne saurait créer directement la réalité, et qu’il est inconcevable que plusieurs réalités objectives se superposent.

Conclusion : La Pensée Critique est un TRAVAIL

Vous l’aurez sans doute remarqué, la méthode scientifique suit a priori les mêmes principes que la Pensée Critique, et peut sombrer dans les mêmes écueils (subjectivité, instrumentalisation politique, cautionner une vérité absolue, extasier l’individu dans la croyance de sa rationalité, … ).

Contrairement à l’art du doute, la démarche scientifique prend position. Si elle non plus ne statue pas de vérité absolue, elle entreprend une démarche volontaire pour s’en rapprocher.

On comprend ainsi aisément que la Pensée Critique ne saurait être une vertu intuitive et fondamentale comme l’Esprit Critique, mais un travail de réflexion toujours plus approfondi et rigoureux.

Si, par ce moyen, tout le monde peut faire de la science, la différence entre le scientifique et le citoyen est que le premier est un professionnel dont la pensée critique est à la fois le savoir-faire et la production, tandis que nous serions tous des amateurs capables de n’en extraire que de sous-produits.

On comprend ainsi aisément que, si on peut attendre de tout individu de l’Esprit Critique pour lui permettre de s’émanciper de l’obscurantisme, on ne saurait espérer, ni prétendre, que tous puisse pareillement accéder à la Pensée Critique.

Car elle demande un travail que nous n’avons pas tous le loisir d’accomplir, non pas fondamentalement par manque d’intelligence, rassurons-nous sur ce point, mais tout simplement compte tenu des contraintes physiques, spatiales et temporelles qui s’imposent à nous.

Ainsi, passé un certain seuil, nous sommes contraints d’admettre que notre pensée individuelle ne peut reposer que sur un choix de croyances entre ceux qui en savent davantage.

Cela est d’autant plus sensé que les pensées critiques ne travaillant pas sur les mêmes connaissances, doivent nécessairement se confronter et se compléter pour faire progresser la connaissance et la science.

Moi-même qui cherche à développer ma pensée critique dans un certain nombres de domaines précis, est soumis à ces mêmes contraintes dans tous les autres domaines de la pensée critique, et a fortiori dans tous les domaines de ma vie.

Ainsi, a priori, les scientifiques ne sont pas davantage des génies que vous pouvez l’être. (bien qu’il existe des scientifiques de génie !)

Pour autant, la sagesse consiste à les écouter concernant leur domaine de spécialité, de la même façon qu’on fait confiance au boulanger pour nous faire du pain.

Si les représentants de certaines disciplines (médecine, sociologie, …) nous inspirent davantage de méfiance que d’autres, car ils semblent toucher davantage à notre intimité et notre vie personnelle, il n’en reste pas moins qu’en matière de Pensée Critique, nous avons tout à gagner à privilégier la confiance constructive à la méfiance pourfendeuse.

C’est d’ailleurs cette dernière réflexion, qui va m’amener désormais à vous démontrer que le plus crédule et le plus idiot, n’est pas vous qui croyez à tant et tant de choses en toute lucidité, mais bien celui qui pense pouvoir tout comprendre par lui-même et sans croire en rien.

Critique de l’Esprit et de la Pensée : L’imposture des crédules

Deux postures, deux impostures : Le timoré et l’effronté

Aux deux extrémités de la pensée critique, on retrouve deux figures contradictoire, pour l’instant, nommons les ainsi : le timoré et l’effronté.

Avant tout développement, il est nécessaire de comprendre que ces deux figures peuvent résider EN MÊME TEMPS en nous, et que par ailleurs, il existe bon nombre de situations intermédiaires entre ces deux archétypes, et plus largement, que notre pensée critique n’est pas égale selon les sujets.

Enfin, il s’agit là de POSTURES tenues à propos de la connaissance, et nullement d’ESSENCES conçues pour mettre différents types d’idiots dans des cases.

Le timoré :

Le timoré est à la fois celui qui semble le plus méprisé, mais aussi le plus excusable : Il s’agit de celui qui s’en tient à l’Esprit Critique et déclare n’avoir aucune Pensée Critique.

Il persiste à penser que « tout ce qui est intellectuel » n’est pas pour lui, et se complait dans ce qu’il sait déjà. Du moment qu’il peut se ménager le confort de ne pas passer pour un « naïf » ou un « mouton », et se contenter d’énoncés généraux propres à réaffirmer son intelligence (« Ils nous manipulent », « Ils me prennent pour un idiot »), il estime ne rien pouvoir davantage.

L’effronté :

L’effronté, à l’inverse, est souvent perçu comme le plus estimable, mais aussi le plus critiqué : Il s’agit de celui qui revendique sa Pensée Critique et considère son Esprit Critique comme une faculté voire une nature propre à son intelligence.

Celui-là mettra un point d’honneur à avoir son « propre avis » sur tous les sujets, mais se complaira tout autant dans ce qu’il sait déjà ! Là où le timoré est un introverti qui n’a besoin d’avoir raison vis-à-vis de lui-même, l’effronté cherche surtout à avoir raison au regard des autres, bien qu’il le fasse tout autant pour lui-même.

Là où le timoré tient simplement à être « dans la masse », l’effronté cherche à obtenir une « intelligence supérieure ».

L’imposture des crédules

Au-delà de la sincérité ou de l’hypocrisie de chacun, ces deux postures partagent une conception solitaire de l’intelligence, et ne considèrent que leurs propres facultés à avoir assez d’intelligence pour nourrir leurs propres ambitions.

Ces deux archétypes, de façon radicalement opposée, sont pourtant également représentatifs de ce que je qualifie « d’imposture des crédules ».

Ce concept renvoie à l’idée fausse que le crédule est celui qui croit en ce que lui dit les autres, alors qu’en réalité, le crédule est surtout celui qui a une confiance excessive en ce qu’il croit.

Or, selon les lois de l’hubris, ou dans un jargon plus scientifique, la loi de l’erreur fondamentale d’attribution, notre orgueil nous pousse à avoir surtout une confiance excessive dans 2 domaines :

  1. Quand il s’agit d’attribuer nos réussites et nos qualités à des causes internes. (nos défauts et échecs sont atténués par leur attribution à des causes externes)
  2. Quand il s’agit d’attribuer les erreurs et les défauts DES AUTRES à des causes internes (leurs réussites et qualités sont minorées par leur attribution à des causes externes).

Les plus crédules sont donc surtout ceux qui sont trop sûrs d’eux, soit dans leur manque d’intelligence (ou celle des autres) ou au contraire de leur trop plein d’intelligence (ou de celle des autres), alors même que les postures du timoré et de l’effronté sont celles qui conduisent le plus l’individu à se comporter comme un imposteur vis-à-vis du niveau « critique » de leur esprit et/ou pensée.

Leur imposture étant de faire croire que ce sont les autres qui sont crédules, alors qu’ils sont eux-mêmes les plus crédules à cause des insuffisances de leurs capacités de jugement et de leurs efforts de confiance.

Moi-même, peut-être davantage que beaucoup d’autres en écrivant cet article, est souvent soumis à ces deux postures si je n’y prend pas garde :

En effet, plus les efforts que je fournis pour développer ma pensée critique sont conséquents, plus je suis frappé et souffre parallèlement, de l’assurance qui m’incite à remettre à leur place les plus paresseux que moi dans mon domaine de compétences tel que je l’ai délimité (faisant alors de moi un effronté), et de l’appréhension qui me fait déplorer mon manque de légitimité existentielle, rationnelle et institutionnelle pour m’exprimer dans mon domaine de compétences tel que je voudrais qu’il soit.

Ainsi, j’estime à la fois être parmi les mieux lotis à l’égard de la connaissance dans l’absolu, et en même temps pitoyable à l’égard de mes facultés comparativement à ceux à qui je me réfère, par perfectionnisme ou par modestie, ce n’est sûrement pas à moi d’en juger.

Il ne fait aucun doute que nous sommes nombreux dans cette situation c’est pourquoi cet article vise tout autant à réhabiliter notre confiance, que ce soit en nous, ou vis-à-vis des autres et des faits, tout en expiant nos démons les plus crédules.

« MOI j’ai un Esprit Critique » : Chronique de ceux qui ne doutent jamais de douter.

Certains d’entre vous sont probablement déjà arrivés à cette conclusion. L’Esprit Critique est à la fois la matrice mais aussi le point aveugle de la pensée.

Tout le monde pense que le monde manque d’Esprit Critique et que s’il en avait davantage tout irait mieux. Mais individuellement, chacun est persuadé d’avoir suffisamment d’esprit critique.

Bien entendu il en va plus largement de l’intelligence, comme l’avait déjà suggéré Descartes :

« Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée : car chacun pense en être si bien pourvu, que ceux même qui sont les plus difficiles à contenter en toute autre chose, n’ont point coutume d’en désirer plus qu’ils en ont ».

Mais l’Esprit Critique a encore cela de vicieux, que, là où il est maintenant communément admis que l’intelligence est non seulement plurielle mais également relative, en revanche l’Esprit Critique poursuivrait une méthode objective, et que le problème résiderait alors que dans le fait de l’être ou plutôt de ne pas l’être, telle est la question.

Mais parmi ceux qui disent douter, il y a évidemment ceux qui ne doutent de rien. Or ceux-là on les reconnaît en premier lieu, parce qu’ils ne doutent jamais de douter. Jamais ils ne doutent que c’est leur esprit critique qui les guide.

Ainsi il en va de ces « libres penseurs », qui sortent des normes établies, de la bien-pensance et de la superficialité, grâce à leur intelligence qui si elle n’est pas supérieure, a au moins le mérite d’être unique, et de ne pas être influencé par les lieux communs.

Cependant, comme je l’avais expliqué dans mon premier article sur l’Esprit Critique, tout discours de cette nature est absolument irréfutable, car tous, dans la posture, choisiront de se réclamer de cette indépendance et de cette causticité perçues universellement tout à la fois comme bonne et subversive.

Or comme toute posture irréfutable et qui peut être universellement partagé, elle n’a aucune valeur de vérité. Et ainsi, même ceux qui pourraient s’en réclamer légitimement, devront démontrer par les faits et par leurs actes un tel postulat.

Ce que je viens de vous dire est un postulat de même nature, visant personne et tout le monde à la fois, il doit être étayé d’arguments pour être crédible.

Ces arguments, les voici :

La première erreur de ces libres-penseurs effrontés et solitaires, n’est ni leur obstination à être libre ni leur prétention à être intelligent.

Il s’agit en réalité de leur refus de toute forme d’intelligence qui pourrait avoir une nature étrangère, à fortiori qui ne soit pas produit par eux-mêmes, à minima qui ne soient pas produites par ce qu’il considère comme étant de « libres penseurs » tout comme eux.

Cette individualisation de l’intelligence est d’autant plus absurde, quand elle est tenue par ceux, qui ont été manifestement les mieux éduqués, dans les meilleures écoles par les meilleures personnes, qu’ils assument souvent de leur propre aveu, pour mieux valoriser leur mérite.

Mais peut être que ceux-là pensent que ceux qui les ont formés sont aussi de purs libres-penseurs, qui n’ont eu qu’à penser par eux-mêmes pour en arriver là où ils sont.

Sans même tomber dans une telle caricature, le raisonnement se tient, tant que le libre penseur est assez abruti, pour penser que c’est avec moins de diversité, moins de points de vue, et moins de connaissances que l’on devient plus intelligent.

En effet l’abruti, étymologiquement, est un lourdaud, un rustre, et même une brute.

Son imbécilité provient surtout du fait que par manque d’empathie et de considération pour les autres, de nombreuses choses pourtant essentielles reste en dehors de sa compréhension.

Tous ces « anti-fragiles » qui se pensent plus raisonnables et plus rationnels, en conspuant toute forme d’émotion et de sensibilité, sont en réalité de véritables handicapés de l’intelligence car leur manque de sensibilité les rend ignorants et aveugles de toute une partie du réel.

En se privant d’une partie de leur faculté, mais aussi de la volonté d’observation, ils se privent de la connaissance des faits, qui est pourtant la plus difficile mais aussi la plus indispensable pour conserver son esprit critique et développer sa pensée critique.

Certains répliqueront peut-être que l’intelligence, comme toute marchandise, perd toute sa valeur si tout le monde est intelligent.

C’est se reposer sur une définition innéiste de l’intelligence, un talent/faculté que certains n’en auraient pas assez tandis que d’autres en auraient trop.

Cela ne saurait être vrai car du point de vue de nos facultés de raisonnement, il est absurde de vouloir être intelligent par distinction, et non pas dans l’absolu.

Si tel est le cas, vivre avec des idiots ne peut que vous faire ambitionner d’être vous aussi un idiot, même si un peu moins que les autres, et il est peut-être déjà trop tard pour vous.

Et pour ceux qui croient à quelconque forme de transcendance, le constat est pire encore :

Car si votre prédécesseur est moins intelligent que vous, ce qui est encore à votre avantage, il ne fait nul doute que votre descendant sera plus intelligent que vous ne l’êtes, surtout s’il prend la peine d’étudier votre cas.
Adam Smith, dans sa conception de la division du travail n’en penserait pas moins.

Comme dans tout le reste de l’histoire humaine, c’est parce que les autres sont plus intelligents dans leurs domaines respectifs, mais aussi plus intelligent dans votre propre domaine, que vous pouvez vous-même être plus intelligent, pour peu qu’ils veuillent bien vous transmettre ou partager, le produit de leur savoir, et que vous ayez suffisamment peu d’orgueil pour les écouter.

Or, même si votre objectif est d’utiliser votre intelligence pour vous distinguer, la réalité la plus mercantile de la connaissance, est que c’est votre travail SOCIAL qui en fait sa spécificité.

Ce travail ne saurait uniquement être intellectuel, il correspond à toute expérience il a toute activité, que vous êtes assez prompts à valoriser et à partager avec autrui, pour recevoir sa propre expérience et sa propre expertise en retour.

D’autres rétorqueront alors « Mais on ne peut pas considérer décemment que toutes les intelligences se valent, certaines sont plus superficielles moins utiles que d’autres. »

Il est tout à fait possible d’argumenter rationnellement selon quelles modalités cet énoncé général peut être vrai, j’ai moi-même mon propre avis sur la question.

Mais quand bien même, il s’agit surtout d’un jugement subjectif, qui, même s’il peut nous faire du bien, est probablement plus superficiel encore que toute superficialité que vous pourriez dénoncer.

La superficialité n’est pas une case dans laquelle on met les gens qu’on n’aime pas. C’est une question qu’on doit d’abord et surtout se poser à soi : « Est ce que je me donne à fond ? Est-ce que je vis ma vie avec suffisamment d’intensité ? Est-ce que je suis à la hauteur de mes nobles principes ? »

C’est votre propre superficialité, vis-à-vis de vos propres jugements de valeur, qui devrait vous préoccuper.

D’autant plus que la superficialité des uns et des autres ne tient pas seulement dans leurs qualités individuelles, mais aussi conditionné par leur environnement et leurs conditions initiales d’existence.

Que l’on croie ou non en la méritocratie en matière d’intelligence, que l’on pense l’inégalité en cette matière juste ou injuste, et que l’on pense que les gens soient responsables de cette injustice ou non ; d’après vous qui est le plus superficiel ?

Celui qui est superficiel parce que c’est un bon à rien ? Ou vous même, qui persévérez dans votre propre superficialité, alors qu’apparemment vous aviez largement le potentiel intellectuel pour qu’il en soit autrement ?

C’est pour toutes ces raisons que je porte sur eux un regard si sévère et si méprisant, car c’est là leur langage de prédilection, à tous ces « assurés du bocal », pédant, provocateur, chevaliers de l’anti-bien-pensance, aveuglés par leur esprit de contradiction superficiel dont ils n’arrivent pas à voir les contours, car leur courte vue découle logiquement de leur impécuniosité à, premièrement, véritablement tendre la main à l’autre, et secondement, de faire de la connaissance et de l’intelligence une affaire personnelle.

Ceux-là mêmes qui ont peut-être le plus à cœur d’être plus intelligent que tout le monde, adopte des postures de brute qui leur interdit ironiquement toute forme d’élévation et de domination en ce domaine.

Ceux-là se fourvoient s’ils pensent valoir mieux que les autres.

Les mêmes qui rabâchent que la nature humaine n’est que paresse et félonie, ceux-là mêmes pensent pouvoir en être épargné et préservé, à force de misanthropie, ne peuvent plus prétendre à rien d’autre qu’un prêt-à-penser médiocre, ridicule pour ceux qui ne s’interdisent pas d’avoir recours le plus largement à l’intelligence collective.

Car selon leur propre point de vue, il n’y a que les intelligents pour constater et comprendre la bêtise des moins intelligents.

Et si vous jugez mon propos de l’opprobre de l’arrogance et de la médisance, n’oubliez pas que c’est selon eux que, se plaindre d’être battus par des gens parce qu’ils sont méchants, est une moralité de perdant, nourri davantage par une jalousie de la réussite, qu’un sentiment d’injustice légitime.

« MOI je n’ai pas de Pensée Critique » : Récit de ceux qui doutent en silence

Pour vous, j’ai, non pas plus de compréhension, mais plus de considération.

Nous sommes les plus nombreux, car la confiance en soi est toujours fragile et à redéfinir.

Je ne peux que difficilement et imparfaitement imaginer, ce que ça fait de se résigner, avec des raisons qui relèvent de votre propre expérience : « Le travail intellectuel ce n’est pas pour moi, et de toute façon je n’aime pas ça ».

Voilà ce que j’aimerais vous dire :

Se penser pire que les autres n’a rien de bon et est d’une tromperie supérieure à se penser meilleur que les autres.

On est tous des minables sur tout un tas de point, mais possédons toujours quelques qualités ou moyens de nous rendre utiles ou intéressants.

Moi-même suis le premier bon à rien, et écris après avoir fait tant d’erreurs, même si vous ne le voyez pas !

C’est tellement facile de critiquer quand on ne connaît pas, quand on ne sait pas, même eux peuvent le faire.

Si on vous rétorque que c’est VOUS ne comprenez rien et que de toute façon tout le monde critique sans savoir, dites-leur d’arrêter de se plaindre avec tant de véhémence, le bénin reproche que vous leur faites, à moins bien sûr qu’ils préfèrent être réduits à de fragiles susceptibilités.

Cessez de prendre des pincettes et d’être indulgent, avec ceux qui n’en prennent aucune et n’en ont rien à faire de vous.

Ne laissez pas des brutes vous empêcher de penser, traitez-les pour ce qu’ils sont, des abrutis, avec leurs propres faiblesses.

On se moque des « wokes » en disant qu’ils desservent leur cause, des « Insta-fans » qui se laissent berner par les apparences.

Mais n’est-ce pas encore plus contre-productif et encore plus minable de se moquer des gens idiots ?

On parle de cancel culture et de censure, pour des sujets tellement censurés qu’on n’arrête pas d’en entendre parler.

Oubliant que le plus grand drame c’est l’auto-censure, c’est la censure qu’on ne voit pas !

Chaque fois que vous vous dites : « Je ne peux pas savoir, je ne peux pas comprendre et ma pensée, mon avis, ne valent rien », vous laissez les critiques les plus extatiques, les charognards qui sont prêts à parler même quand ils ne connaissent rien à leur sujet, vous pomper l’oxygène et nourrir votre impuissance.

En ce domaine et comme ils aiment à le répéter on n’est jamais mieux servi que par soi-même : Parlez vous-mêmes, même un peu, même mal, vous ferez toujours plus la différence qu’eux.

Il paraît que la critique les renforce, car leur esprit de contradiction plus que critique se réjouit de ne pas être pleinement approuvé. Dans ce cas, battez-les à leur propre jeu !
Si la critique les renforce, laissez leur critique renforcer votre détermination.
Car il n’y a rien de mieux qu’une critique mal fondée pour renforcer votre conviction, comme eux-mêmes vous l’ont appris.

Faites la différence malgré les donneurs de leçons qui vous disent de ne pas écouter les donneurs de leçons.

En bref, ne laissez pas votre sentiment d’être imposteur, vous empêcher de lutter contre l’imposture.

Il vaut mieux le syndrome de l’imposteur que le syndrome de la (im)posture.

Car un esprit critique, fondamentalement, n’est pas un esprit ou une pensée QUI critique, mais un esprit qui fait de la réflexion un instrument CRITIQUE (càd important) pour changer sa vie et changer la vie.

C’est davantage celui qui accepte de s’exposer à la critique plutôt que celui qui critique. Ils diront de même, mais sachez qu’on ne s’expose pas vraiment quand on ne parvient à s’extirper des lois de l’hubris (ou erreur fondamentale d’attribution)

Vous n’êtes pas des abrutis du moment que vous n’êtes pas des brutes. Vous êtes des brutes du moment que vous ne savez rien faire d’autre que rabaisser les autres pour se valoriser, voilà ce qui fait de vous un « perdant ». Simple, Basique … vous valez mieux que ça. 😉

PS : Si vous étiez un abruti, j’espère que vous l’êtes moins désormais. Ça peut arriver à tout le monde 😉

Pour aller plus loin

Pour débuter
Collectif de recherche transdisciplinaire esprit critique et sciences (CORTECS)
Esprit Critique VS Pensée Critique

BOISVERT Jacques (1999). La formation de la pensée critique. Théorie et pratique, Éditions De Boeck Université

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