Épisode 0 : Et si tout était une question de chance ?

Sommaire

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Ep 1 : Comment un rien d’Augure peut tout faire basculer ?

Ep 2 : Qui a le droit à une seconde chance ?

Ep 3: Concours de circonstances

Ep 4: Le service est bon, le bon service est meilleur

Ep 5: Condition, raison, idéal : Questions de chance

Ep 6: Le Travail et le Néant

Ep 7: Bonne étoile et superstitions

Ep 8: Sauter dans un train en marche

Ep 9: ?

Résumé de Loterie Solaire , de Philip K.Dick

Au 23ème siècle, le pouvoir change de mains au gré des oscillations de la « bouteille », une grande loterie qui peut, du jour au lendemain, faire de tout un chacun le nouveau dirigeant de la Terre, le meneur de jeu. C’est ainsi que Léon Cartwright, simple électronicien, accède aux plus hautes fonctions, destituant sans préavis son prédécesseur, Reese Verrick. Ce dernier n’a cependant pas l’intention de laisser le hasard décider pour lui et se lance à la reconquête du pouvoir suprême, quitte, pour cela, à influencer la chance. Après tout, qui a dit qu’on ne pouvait pas tricher ?

Tout est possible

La 1ère question que l’on se pose à propos de la chance, est de les questionner toutes : « Quelles étaient les chances ? » ( = « what were the odds »).

Quelles étaient les chances que je sois celui que je suis et que je vive la vie que je mène ?
Quelles étaient les chances que les humains se rassemblent et que l’Histoire suive son chemin ?
Quelles étaient les chances pour que le monde existe, et que je ne sois pas seulement un être vivant, mais de surcroît un être humain ? Quelles étaient les chances que je vous rencontre, et que vous me rencontriez ?

Finalement, se poser la question « Quelles étaient les chances ? », relève d’une sorte de fascination pour le « miracle de l’existence ». Notamment du fait que les choses qui nous déterminent avec le plus d’importance, soient aussi celles qui, au vu de toutes les autres possibilités, sont les plus improbables.

Et pour cause, on dit souvent que chaque individu est unique, ce qui fait au moins plusieurs milliards de possibilités, sans compter les personnes qui ont vécu avant vous et celles qui vivront après vous. Plus vertigineux encore, la Terre est la seule planète abritant une telle forme de vie à plusieurs millions de kilomètres à la ronde, voire même au-delà ! Pire encore est le vertige du temps, où s’écoule une infinité de déterminations à chaque instant, faisant du monde de demain un monde encore plus improbable que celui d’hier.

En bref, rien ne dit que si votre vie était à refaire, vous seriez exactement le même, c’est même la chose la plus improbable qui soit. Car c’est aussi cela la chance, ce n’est pas qu’un coup de dé chanceux, ni un heureux événement. C’est, en définitive, l’ensemble des choses qui ne sont pas certaines.

En fin de compte, la seule certitude semble être qu’il n’y ait pas de certitudes. Car en définitive, tout semble possible, mais tout est improbable.

Théorie du jeu (de la vie)

La vie est une question de chance, et ce dès la naissance. Personne ne choisit ni où il naît ni dans quelles conditions. Personne ne choisit de naître dans un pays riche ou pauvre, pas plus qu’il ne choisit sa famille ou son patrimoine génétique. Et si la vie était un jeu de cartes, il serait aisé de constater que personne ne choisit sa main de départ.

Et ces questions de chance demeurent et se multiplient à mesure que l’existence avance. Car au grand jeu de la vie, il n’y a des perdants et des gagnants que « par accident », tant nous sommes incapables de contrôler les causes qui nous déterminent (= déterminants). Et si certains y arrivent mieux que d’autres, eux-mêmes sont limités tant par le poids de leurs décisions passées que par la détermination de ses déterminants, qu’ils ne contrôlent pas.

L’indétermination de nos propres actes, du fait de l’infinité des autres déterminations, est au cœur de la « théorie des jeux », théorie selon laquelle la conséquence de chaque « coup », dépend fondamentalement des autres « coups » qui sont joués au même moment. Mais concernant la vie dans son ensemble, l’indétermination va encore plus loin, au point que l’on peut parler de théorie DU jeu. En effet, en un sens, la vie est le jeu suprême, car il est à la fois le plus contingent – car il aurait pu être autrement à chaque instant – le plus circonstanciel – car son résultat dépend de tous les joueurs, mais aussi de tous les non-joueurs – et le plus relatif – car la vie est un jeu où rien n’est indépendant, et donc, où rien n’est absolu.

En définitive le jeu de la vie est si complexe qu’il semble relever purement et simplement du hasard. Car la relative ignorance des causes contingentes et circonstancielles qui nous déterminent, nous empêche bien souvent de comprendre les pourquoi de notre existence. En effet, sans comprendre pourquoi « tout cela » est possible, nous sommes presque obligés d’admettre que « tout », soit une question de chance.

Or, une fois que nous avons admis cette idée, que nous avons cessé de chercher d’autres explications, nous nous retrouvons soudainement au bord du gouffre.
Car presque admettre que « tout » soit une question de chance, c’est finalement se demander : « Et si tout était une question de chance ? ».

Et si la vie est un jeu, ma vie n’est-elle qu’une série de coups de poker et de lancers de dés ? Cette dernière question de chance est la plus vertigineuse, car elle est à aquoiboniste. Car si la vie est une question de chance, à quoi bon vivre et pourquoi vivre bon ?

Vaincre le hasard par le hasard

Dans Loterie Solaire, la civilisation humaine a pleinement conscience de la « théorie du jeu », au point que le dirigeant de la Terre a le titre de « Meneur de jeu ». Pour vaincre l’incertitude déterminante du hasard, Loterie Solaire abandonne l’usage exclusif de la raison, qui cherche autant que possible à expliquer et prédire le hasard, sans jamais totalement y parvenir (cf. théorie du chaos).

Bien au contraire, cette civilisation décide de conjurer le hasard par le hasard !

Plutôt que d’élire leur dirigeant parmi les candidats que la fortune (la chance, l’argent et le pouvoir) permet, ils préfèrent s’en remettre aux oscillations aléatoires de la bouteille pour élire le prochain dirigeant (cf. tirage au sort dans la démocratie athénienne). De la même façon, plutôt que l’égalité des chances, ils préfèrent l’égalité de LA chance, chacun ayant les mêmes chances d’être en haut ou en bas de l’échelle sociale. Le contrôle rationnel du hasard, ne se fait donc jamais préalablement mais toujours après coup !

Pour s’assurer de l’intégrité et la compétence du Meneur de jeu, sa position est maintenue dans une instabilité permanente : s’il est dément ou stupide, il finira par être tué, car les tentatives d’assassinat du Meneur de Jeu sont légales et même encouragées comme étant un devoir citoyen, une mise à l’épreuve du dirigeant. S’il est despote ou tyran, il ne restera jamais bien longtemps car les oscillations de la bouteille pourront le chasser du pouvoir à tout moment. De la même façon, rien ne sera jamais fait pour lutter contre les inégalités, on se préoccupera plutôt d’ordonner le hasard en s’assurant que chacun occupe sa juste place, en fonction de sa compétence.

Comme on peut le voir, la détermination par le hasard suppose une détermination rationnelle certaine. D’une part tout est impersonnel et tout le monde est fonctionnaire, d’autre part on juge de la compétence de chacun individuellement dans la lutte des « classes ». A savoir s’il vaut mieux le désordre de la raison ou l’ordre du hasard, je vous laisse en juger, car il s’agit plus d’une question morale que d’une question rationnelle.

Justice et démocratie : questions de chance ?

Ce à quoi nous aspirons le plus pour la vie, non pas seulement pour nous, mais pour toute la communauté humaine, est que celle-ci soit juste.

Cette aspiration, non seulement grandit avec l’âge, tout en devenant toujours plus improbable et utopique. En effet, affronter le bain de la vie et traverser l’enfance suppose toujours une désillusion. Car voir le monde pour ce qu’il est, semble toujours être de le voir de la façon la plus cynique et platonique. Il s’agit de le voir sans morale, sans émotion, nous amenant à détourner notre jugement ; au risque de ne pas vivre dans le « vrai monde ».

Ainsi, qu’est-ce que le monde cynique et rationnel nous révèle le plus ? L’injustice et l’absurde. Selon Albert Camus, rien ne différencie moins le résigné du révolutionnaire, que les convictions selon lesquelles, la vie est naturellement injuste et que la compréhension du monde consiste à accepter que le monde fait rarement sens. L’évidence injuste d’un monde sans évidences, semble alors devenir l’illumination la plus sage de l’art de la vie et de la pensée : Comprendre que nous vivons dans un monde anarchique sur lequel nous n’avons aucun contrôle, et vivre avec.

Sur cette réflexion, toutes les philosophies semblent se rejoindre avec fatalisme : que ce soit le clinamen épicurien, qui suppose que le hasard de la rencontre des atomes provient d’une déviation spontanée et aléatoire des atomes, ou le pragmatisme stoïcien, qui consiste à se concentrer ambitieusement sur ce que l’on peut contrôler, et d’accepter de subir ce que l’on ne peut pas contrôler, on retrouve cette même idée selon laquelle le hasard et le destin, prédomineront toujours sur nos conditions d’existences.

Autrement dit, « le déterminisme d’abord, le libre-arbitre ensuite ». Nombreux sont les philosophes à reconnaître l’existence du déterminisme (Locke, Hobbes, Spinoza, Nietzsche, Freud, Foucault, …), voire même tous, puisque la métaphysique, champ d’analyse premier du philosophe, repose précisément sur l’étude des causes et des fondements, c’est-à-dire les causes initiales déterminant les conséquences finales.

A fortiori, le déterminisme semble être une des vérités les plus universelles qui soit. L’ensemble des êtres humains doivent admettre cette hypothèse pour raisonner dans un monde cohérent, car fatalement, nous seule façon d’apprendre est de considérer les noumènes et phénomènes ayant existé pour comprendre ce qui existe et ce qui existera. Le raisonnement logique de base est celui de la cause et de la conséquence, il devient rigoureux dès lors qu’on s’interroge sur le caractère DÉTERMINANT d’une cause.

En effet, dans l’absolu, quelle vérité plus universelle, que l’idée que tout a une origine, et que cette origine a été déterminante dans l’existence de toute chose ?

Cette vérité est si frappante que Dieu (ou le Big Bang), supposément l’origine de tout, ne peut échapper au questionnement sur ses origines et ce qui l’a déterminé (Dieu est-il juste ? L’existence de l’Univers est-il un hasard ? …)

Bien entendu, dire que tout est déterminé ne signifie pas pour autant que tout est hasard certains allant même jusqu’à dire que le hasard est une illusion, entretenue seulement parce que nous ne sommes pas capables de comprendre pleinement l’ensemble des déterminations qui nous déterminent.

Bien au contraire, le déterminisme suppose que tout a une explication, et même que tout est possible. Car le déterminisme n’est pas tant une prophétie autoréalisatrice qu’un ensemble infini de déterminants qui déterminent une infinité de déterminés.

Plus simplement, le déterminisme n’est pas une question de chance ( = de hasard), mais une question de chances ( = de probabilités).

Or, parmi tout cet univers de probable et de possible, nombreuses sont les choses que nous ne sommes pas capables d’imaginer ou de prédire.

C’est pourquoi la très dérangeante « théorie du chaos » est parfaitement compatible avec le déterminisme.

Elle nous prouve que tout est toujours au moins un peu du hasard, car nous ne sommes jamais capables de tout contrôler.
Elle nous apprend que rien ne peut jamais être tenu pour certain, car nous sommes incapables de prédire parfaitement ce que l’avenir nous réserve.
Enfin, elle nous montre comment les choses les plus infimes peuvent bouleverser les plus grands ensembles. Sans oublier que les grandes causes ne sont jamais sans conséquences, même pour les choses les plus infimes.

Karma ou justice : a-t-on toujours « ce que l’on mérite » ?

C’est probablement pour nous divertir de l’idée que tout est déterminé, que, au quotidien, nous nourrissons chacun la croyance selon laquelle, dans la majorité des cas, chacun à ce qu’il mérite, pas plus, pas moins ! Croire en son mérite, fondamentalement, permet de croire, non pas que le monde soit juste, mais qu’il est juste envers nous.

A l’échelle d’une nation, croire en la méritocratie, c’est se penser dans une société juste malgré la persistance de l’injustice du monde. C’est finalement croire, qu’il y aurait des injustices justes, ou au moins qui se justifient. La croyance selon laquelle le libre-arbitre appartient pleinement à l’homme, permet de la même façon de considérer que la justice et les lois des hommes sont justes, dans la mesure où elle sanctionne ce que chacun mérite, qu’elles jugent les conséquences de nos actes, rien que nos actes.

Assurément, il ne s’agit pas de considérer que le libre-arbitre n’est qu’une chimère, au point que nous ne pouvons juger de rien ni personne. Même si « tout est déterminé », « toutes choses étant égales par ailleurs », il y en aura toujours certains pour être plus valeureux que d’autres, on peut donc légitimement penser que nous sommes tous déterminés en partie par des causes que nous pouvons maîtriser.

En revanche, juger si quelqu’un « mérite » son sort sera toujours beaucoup plus délicat, car nous serons toujours ignorants de la majeure partie des causes qui le détermine.

De plus, penser que l’existence que nous menons, dépend essentiellement de nos choix, et que par conséquent tout se mérite, implique aussi de penser que le « karma » viendra récompenser les bons et punir les mécréants, selon l’adage largement répandu selon lequel « on récolte ce que l’on sème ».

Or, penser ainsi, ce n’est pas seulement se penser libre, mais aussi s’en remettre au destin : que celui-ci soit l’incarnation de lois divines, naturelles, ou la résultante implacable du hasard, cela revient au même. Nous sommes toujours contraints par les forces et les paramètres que nous ne pouvons pas contrôler.

Enfin, au niveau individuel, on essaie toujours de réduire ce sentiment d’impuissance. Cela explique le biais d’autocomplaisance, selon lequel nous allons a priori attribuer notre réussite à des causes internes – càd déterminées par nous – et attribuer nos échecs à des causes externes – càd que nous ne contrôlons pas – notamment la chance et le hasard.

On peut donc en conclure que, la croyance selon laquelle on a ce que l’on mérite, est bien souvent une réaction à l’omniprésence du hasard, visant à penser une société juste dans un monde injuste. Alors qu’en réalité, on ne peut juger du mérite que si l’individu est libre de choisir les causes qui le déterminent, ce qui est plus rarement que souvent le cas.

Liens :

https://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9terminisme (Déterminisme)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A9orie_du_chaos (Théorie du chaos)

https://fr.wikipedia.org/wiki/Clinamen (Clinamen épicurien)

https://www.linternaute.fr/dictionnaire/fr/definition/aquoiboniste/#definition (L’aquoibonisme)

L’ordre du hasard :

Le déterminisme tout puissant :

Le libre-arbitre malgré tout :

Le hasard fait-il bien les choses ? La croyance en un monde juste

Conclusion :

Les questions de chance ne devraient pas être laissées au hasard, car elles portent sur des déterminations vitales de nos existences.

Cette nécessité, les partisans de la Loterie Solaire l’ont très bien compris, en essayant de faire jouer volontairement le hasard, plutôt que de le subir simplement. Résignée sur les questions de liberté, pragmatique sur les questions de justice et de science, démocratique dans la distribution des places et des classes (par un mélange de méritocratie et de tirage au sort), la civilisation que nous présente Loterie Solaire, est une civilisation qui a fait le choix de composer avec le hasard, plutôt que de le nier. Société de tous les espoirs car tout le monde à sa chance, société de désillusion car personne n’est également chanceux, Loterie Solaire est de ces sociétés à la fois alternatives et semblables, qui a priorisé certains idéaux et en a délaissé d’autres, et surtout, qui a intériorisé ses propres contradictions.

Elle est donc, de notre point de vue, à la fois une utopie et une dystopie.

Loterie solaire pose la question de la chance à chaque instant, car elle laisse volontairement la chance déterminer de quoi demain sera fait. Quitte pour cela à forcer le destin.

Enfin, concernant les questions de justice, de démocratie et de mérite comme questions de chance, je vous renvoie aux articles suivants :

Philo [Dé]confinée n°3: Les manipulations rhétoriques [Des menteurs]

Philo [Dé]Confinée n°4 : Les intellectuels [Des livres]

La méritocratie (En cours de rédaction)

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