Philo [Dé]confinée n°3: Les manipulations rhétoriques [Des menteurs]

Bonjour à tous,

Ce 3ème numéro de Philo Déconfinée fait suite au 2nd qui traitait de la question de la rhétorique, qui s’est avérée plus rhétorique qu’elle ne le paraissait.

Si le précédent numéro était un outil de formation, et donc de construction de l’orateur, le présent numéro visera davantage à l’analyse et la déconstruction de l’ethos et du logos (voir le numéro précédent) de l’orateur, pouvant ainsi être considéré comme un anti-manuel rhétorique.

Bien entendu, il ne sera pas ici question de vous lister l’ensemble des techniques rhétoriques et de la façon de les combattre, mais plutôt de vous présenter les principales caractéristiques d’une « manipulation rhétorique » (je reviendrai sur ce terme), puis de vous enseigner l’état d’esprit général que vous devez adopter pour combattre et renverser ces manipulations rhétoriques.

Cependant, à la fin de l’article, je vous renverrai vers des travaux présentant de nombreuses techniques rhétoriques, ce qui vous permettra de mettre des mots sur ce que font les politiciens à chaque fois qu’ils se « foutent de notre gueule ».

En prime, vous en apprendrez beaucoup sur la communication humaine ( = comment on parle et comment on interprète ce que l’on nous dit), ce qui vous ouvrira la voie vers l’usage d’une rhétorique humaniste, plus positive, qui soigne la forme de son discours sans en négliger le fond, qui sait se rendre agréable à entendre sans chercher à tromper ou détourner.

En préambule, voici la question que nous nous posions la dernière fois :
« Est-ce que les techniques de rhétoriques et l’éloquence produisent du mensonge ?

Derrière cette question, survit l’idée que la rhétorique est un mentir déguisé par des mots et des techniques de langage, que l’on nomme plus communément « formules rhétoriques ».

Cependant, en définissant plus finement les notions de rhétorique et d’éloquence, nous en sommes arrivés à la conclusion que la rhétorique dépassait largement l’arsenal de formules rhétoriques toutes faites, pour embrasser la maîtrise du langage mais aussi du logos, c’est-à-dire de la raison.

Alors, comment qualifier les formules rhétoriques qui sont si problématiques ?

Il suffit de les définir et de les restreindre à un champ clairement identifiable de la rhétorique, les démystifier pour leur faire perdre une grande partie de leur pouvoir.

Pour cela nous allons nous prendre à leur propre jeu, à savoir de jouer sur les mots, avec cependant un objectif constant : démontrer que la qualité d’une rhétorique, provient essentiellement du sens qu’elle exprime, et des idées qu’elle met en mouvement.

Quant aux professions de foi ( = credo), aux paroles creuses, aux corrélations scabreuses, du prêt-à-penser, des discours lénifiants et performatifs jusqu’aux faux semblants, il nous faudra être implacables avec elles, et surtout ne rien leur épargner, ni le mépris, ni les insultes.

Comme le pensait déjà Montaigne, il est temps pour la société, de condamner le menteur bien plus sévèrement que le crédule.

La formule creuse :

Une formule creuse, désigne une phrase ou une expression qui ne contient et/ou n’exprime aucun sens en elle-même.

En revanche, ces formules peuvent avoir un effet sur leur auditoire, qui vont attribuer du sens à cette formule en fonction du contexte, de la personne qui la prononce, la construction de la phrase, etc ; càd qu’elle peut avoir du sens UNIQUEMENT de façon déductive, ou en prenant une autre forme de communication que le langage des mots.

Voici, pour commencer 2 liens pour vous aider à intégrer ce qu’est une formule creuse :

https://edu.ge.ch/decandolle/sites/localhost.decandolle/files/kelsen_ch_5.pdf [Les formules creuses de la justice : Chapitre V, Hans Kelsen ]

https://www.lopinion.fr/edition/politique/phrases-creuses-qui-nous-gouvernent-15307

Pour comprendre la formule creuse, il est important voire nécessaire de comparer la formule rhétorique (creuse) à la formule éloquente (creuse).

La formule rhétorique induit du sens par les mots qu’elle emploie et la façon dont elle les emploie, c’est pourquoi on peut y retrouver :

Les « phrases fantômes » en voici une illustration dans cette vidéo de Norman :

Les phrases toutes faites (« Travailler plus pour gagner plus » , « Il faut faire les réformes nécessaires pour sauver le monde » , …)

Ce qui fait toute la force de ces phrases, c’est que ce sont des formules creuses précisément parce qu’elles sont déjà remplies au préalable.

Elles sont creuses au sens qu’elles ne permettent aucun développement.

Pour présenter les choses de façon plus imagée et métaphorique, si la formule creuse est une coquille de noix vide à l’intérieur, la phrase toute faite est une noix qui a la consistance et le goût d’une coquille à l’extérieur comme à l’intérieur. La formule creuse n’est pas donc pas nécessairement vide, elle est en revanche toujours vidée de sa substance ( = de son sens) !

En effet, dans une phrase comme « Il faut faire les réformes nécessaires pour sauver le monde », les réformes sont déjà admises comme étant nécessaires, donc les réaliser relève évidemment de l’évidence.

On se retrouve dans le cas typique où le sens d’une phrase ne peut pas se détacher de la phrase elle-même, elle est indépassable, inaliénable même, car le sens qu’elle produit est fondé uniquement sur sa construction et nullement sur une signification concrète et tangible.

Ces phrases produisent du sens en vase clos, du sens auto-engendré !

Vous pouvez trouver une analyse plus détaillée ici :

[18:03 à 20:48]

Aussi, il faut aussi prendre en compte que je traite ici des formules rhétoriques, sans me pencher sur les intentions et les intérêts qui peuvent motiver l’utilisation de telles formules.

En effet nous utilisons tous plus ou moins consciemment des formules de ce genre, simplement pour discuter, ou encore vivre en société. Cela étant dit, on peut même considérer plusieurs intensités du vide de la formule creuse, une phrase disant « Ces réformes sont nécessaires car elles contribuent à réduire la pollution et à améliorer le niveau de vie des populations, donc elles sont nécessaires pour sauver le monde », est une formule bien moins creuse que la phrase présentée précédemment, bien qu’elle ne précise pas pourquoi ces réformes réduisent la pollution, ni pourquoi elle améliore le niveau de vie des populations.

De plus, cela nous permet de constater qu’une « formule pleine » est un idéal voire une utopie.

Car même si on répond au pourquoi de la phrase précédente, les explications données seront-elles suffisantes ? Qu’en est-il de l’objectif de sauver le monde, que l’on admet sans expliquer en quoi c’est important ? Beaucoup parlent d’ailleurs de « changer le monde », ce qui peut renvoyer à des réalités très différentes…

Bien vite, on se rend compte que la formule pleine ne pourrait être atteinte que par le débat d’idées, ou encore la dissertation, et que même ainsi cela ne serait suffisant, qu’à condition d’admettre que l’on ne répond pas à toutes les questions, et même qu’on se pose de nouvelles questions, mais aussi que l’on parte tous avec des hypothèses de départ, qui ayant été débattues en un autre temps ou un autre lieu, ne seront pas remises en question au cours de cette discussion car elles sont considérées comme acquises.

On voit donc bien que la formule parfaitement pleine est au mieux extraordinaire, plus vraisemblablement toujours perfectible, et surtout qu’elle ne prend pas place dans la vie courante. Les formules plus ou moins creuses en revanche, font partie de notre quotidien, et même de nos cadres réflexifs les plus courants qui visent à allier vitesse et efficacité (notamment dans la prise de décision, le jugement, …).

Par conséquent, notre combat contre les formules creuses doit se concentrer sur celles qui sont le plus nocives pour la pensée critique, l’opinion générale, ainsi que la richesse du langage et de sa rhétorique.

Il faut donc concentrer nos efforts sur les formules les plus creuses, qui visent à un appauvrissement du langage et du sens.

S’agit-il de combattre les idées reçues et préconçues ? Oui, mais pas seulement ; il s’agit aussi de lutter contre les discours qui assènent des vérités trop évidentes, non pas parce qu’elles sont logiques « quand on y réfléchit », mais parce qu’elles sont d’emblée acceptées par la construction de la formule.

Il s’agit donc, en définitive, de lutter contre les formules rhétoriques qui ne sont utilisées que pour soumettre, ne faisant que donner du pouvoir à celui qui la prononce et/ou réduire à l’impuissance ceux qui l’écoutent/la contestent.

Pour parvenir à cet objectif, aborder la notion de « formule éloquente » est édifiante, en particulier si cette formule est surtout voire purement de l’éloquence.

Car si les formules creuses sont presque toujours à la fois rhétoriques et éloquentes, tout comme l’art du discours, et que les formules uniquement rhétoriques peuvent être facilement déconstruite par le grammairien ou le logicien, la formule uniquement éloquente a sur nous un tout autre effet : on l’apprécie parce qu’elle est bien dite, et on n’y croit non pas parce qu’elle tombe sous le sens, mais parce qu’elle nous paraît belle, elle conforte nos affects.

C’est d’ailleurs pourquoi ces formules éloquentes, sont toujours empreints d’une certaine musicalité ou d’un certain mysticisme, elle fait appel à des images et des valeurs pour illuminer son discours.

Cela nous donne des phrases comme : « Le progrès est l’avenir de la France de demain, je sais que l’humanité est grande, qu’en son nom nous avons déjà visé la lune, et que nous parviendrons bientôt à atteindre les étoiles ».

Comme on peut le remarquer, dans une telle formule éloquente, on use de rhétorique, mais cette phrase est vraisemblablement prononcée plus pour son panache que pour son sens, elle suscite donc l’adhésion plutôt que la réflexion.

Une formule éloquente plus pure, prendrai souvent une forme proverbiale, que le temps et l’usage aurait vidé de sa substance ( = de son sens), et l’on n’en garde que la beauté, et l’évidence de la beauté.

Ainsi, certaines citations, comme « comparaison n’est pas raison », « l’amour est aveugle », ou encore, « l’homme est un loup pour l’homme », peuvent être employées en toutes circonstances sans avoir à questionner de leur véracité ou même de leur pertinence par rapport au contexte dans lequel elles sont prononcées.

Dans l’absolu, de telles expressions figées peuvent même devenir la réponse à n’importe quelle situation :

[5:40 à 7:16]

Enfin, une autre façon de différencier les formules rhétoriques et les formules éloquentes, est paradoxalement de les considérer comme les deux faces d’une pièce, en l’occurrence d’une même langue, avec d’une part la langue de bois (face rhétorique) et de l’autre, la langue de coton (face éloquente).
Voyez en l’analyse plus détaillée dans les 2 liens ci-dessous.

https://www.projet-voltaire.fr/culture-generale/langue-bois-langue-coton-discours-politique/


François Ruffin
https://mrmondialisation.org/francois-ruffin-avec-les-gilets-jaunes-les-invisibles-sont-devenus-hypervisibles-interview/

Les éléments de langage :

Nous venons de voir que les formules rhétoriques et éloquentes, même quand elles ont comme principale propriété d’être des formules creuses, poursuivent néanmoins des intentions et des intérêts, qui peuvent aller des plus insignifiants (faire la conversation, être poli, …) aux plus fondamentaux, notamment la lutte pour le pouvoir (son obtention et sa conservation).

On peut donc comprendre que toute une ingénierie se soit développée afin de concevoir des formules qui servent aux hommes de pouvoir, afin que ceux-ci puissent défendre des intérêts par l’usage de la rhétorique.

Ce sont ces formules que l’on nomme les éléments de langage, ce sont des constructions du langage qui ont été conçues précisément pour être creuses, vides, générales, de façon à ce qu’elles puissent permettre de garder le contrôle de la parole en toute circonstance, mais aussi d’installer une pensée dans un cadre limité, de façon à toujours pouvoir définir le cadre du débat, et ainsi écarter du débat les idées et propositions qui concernent l’incompétence, l’ignorance ou l’indifférence de l’homme de pouvoir.

Il subsiste cependant une réalité concernant la répartition du pouvoir dans les sociétés démocratiques occidentales, qui est non pas seulement inégalitaire (car elle est moins inégalitaire que dans les autres régimes), mais surtout illégitime par rapport à ses propres valeurs.

La faute à un système d’élection, qui, surtout en France, prône l’élection des meilleurs alors que l’élection n’est pas un processus méritocratique, et qui par la professionnalisation de la politique, propose des candidats qui sont en parfaite contradiction avec l’idée que l’on se fait d’une élection démocratique.

Et cela concerne les éléments de langage au premier plan, car ce sont précisément des élections rhétoriques visant à supporter le pouvoir de l’homme politique, par conséquent les éléments de langage sont au cœur des enjeux d’une élection démocratique, qui est une lutte pour le pouvoir par excellence.

Ils définissent l’idéologie ainsi que la communication de toutes les mouvances politiques, car ils forment un substrat de sens simplifié, synthétisé et éloquent, qui permet ensuite de traiter de tous les sujets de société sur ses fondements.

La fonction d’un élément de langage dans la lutte politique et rhétorique, permet également de comprendre que tous les éléments de langage ne se valent pas, précisément parce qu’ils rentrent en confrontation avec d’autres.

Et que par conséquent, les excellents rhétoriciens (à la fois rhétoriques et éloquents), usent et créent les éléments de langage de bien meilleure facture, qui plutôt que d’être des formules creuses ( =qui n’a pas de sens) supportant un discours politique demi-creux, sont des formules demi-creuses ( = qui sont univoques, càd qui ont qu’un seul sens) supportant un discours politique qui prend tout son sens quand on réalise qu’il n’est pas simplement équivoque ( = binaire) mais bel et bien multivoque ( = qui n’est pas univoque, qui peut prêter à de multiples interprétations, qui supporte multiples comparaisons.)

L’élection de la rhétorique

Après y avoir mûrement réfléchi, je fais ici le choix de considérer qu’il est difficile d’expliquer la perfidie des éléments de langage sans parler de l’incompétence de ceux qui les emploient, cette incompétence n’étant pas absolue, mais relative par rapport à la compétence nécessaire pour répondre à un problème politique ( => entendu comme problème de société).

J’ai conscience que ce choix pourra m’être reproché, et c’est pourquoi je vais m’efforcer de ne pas faire de généralisation hâtive, consistant à considérer que tous les élus politiques soient pusillanimes et corrompus.Puis, j’expliquerai leur incompétence par des motifs qui touchent tant à leur formation que les limites de l’homme seul, et je finirai même par justifier que l’idée d’avoir des étudiants et des professionnels en sciences politiques n’est pas en soi une aberration dans une démocratie.

Ainsi, premièrement, pourquoi l’élection n’est pas un processus méritocratique ?

Simplement parce qu’elle suppose vrai un idéal-type qui est loin d’exister dans la réalité : Que la personne élue est la plus qualifiée politiquement pour occuper cette responsabilité publique (que ce soit président, député, …) pour défendre l’intérêt commun, car elle a reçu le plus grand nombre de voix en sa faveur.

Sans même parler de l’abstention, ni même de l’impossibilité d’appréciation des candidats, car on ne retient des électeurs que leur premier choix*, cette considération est au mieux un vœu pieu ou un fourvoiement, au pire une manipulation des plus grotesques.

*Voici le système de vote du jugement majoritaire qui tente de dépasser cette situation :

Pourquoi ? Car cela suppose non seulement que tout le monde vote en fonction des qualifications de la personne, mais en plus que chaque citoyen serait capable de les juger juste en lisant son programme et en l’écoutant parler !

Or, dans la réalité, même les citoyens ayant le sentiment d’être [Note : Je n’ai pas dit « étant »] les plus éclairés, votent bien souvent davantage pour tout un ensemble allant de l’idéologie d’un parti, jusqu’aux imaginaires et aux croyances de l’individu, d’autant plus que celui ne vote pas nécessairement dans son propre intérêt.

On peut débattre longtemps sur ce qui motive un choix de vote de façon universelle, toujours est-il que le candidat n’est donc que le représentant et donc le support d’un ensemble plus large, et donc qu’il ne sera jamais élu uniquement sur ses qualités et ses compétences propres, c’est-à-dire jamais de façon méritocratique.

Il est temps d’aborder la question épineuse de la professionnalisation de la politique, qui est aussi une professionnalisation de la rhétorique, au risque de contrarier les sciences-pistes ( = étudiants et anciens étudiants en science politique).

Car c’est cette professionnalisation, qui est en partie la cause de l’incompétence relative des politiques, car l’exercice de la politique est alors une carrière, qui est nécessairement individualisée.

Cela concerne davantage ceux qui nous représentent, que ceux qui nous gouvernent (càd le gouvernement, les administrations, etc, le président de la République étant un cas très particulier).

Toujours est-il que, ayant poursuivi un cursus de science politique, savant mélange d’histoire, de sociologie, de droit, d’économie et de géopolitique, mais aussi de plus en plus, du management, des langues étrangères et même de la philosophie, comment peut-on considérer que la poursuite d’un tel cursus permet nécessairement de devenir compétent sur la majeure partie des questions politiques, et ainsi donc de mériter d’être élu ?

Après tout, on peut raisonnablement considérer qu’une formation en école de commerce formera toujours mieux au management qu’une formation de science politique, et que cette dernière sera également surclassée sur le plan économique par une formation en économie et surclassée sur le plan historique par une formation d’historien.

On pourrait répliquer, que c’est précisément ce savant mélange de savoirs, juste assez dans chaque discipline, qui permet au science-piste d’être un expert de la politique.

Avisés sur tout, experts en rien, ils seront les plus aptes à gouverner, surtout s’ils parviennent à bien s’entourer.

Je développerai dans un prochain numéro, que le profil du science-piste est très semblable à celui de l’intellectuel, et qu’à ce titre sa valeur ajoutée est de penser l’avis des experts pour donner une lecture du monde édifiante, et à partir de cette lecture de prendre des décisions dans l’intérêt politique commun, selon l’idée bien établie par Platon du « philosophe-roi ».

Mais quelle est la conséquence de cette incompétence relative, presque préméditée dans la formation en science politique ?

La conséquence est que lorsque se déroule une élection, il y a nécessairement des sujets politiques sur lesquels le candidat est un peu, beaucoup, voire totalement incompétent.

Pour meubler cet espace d’incompétence relative, le science-piste se repose sur un outil qu’il a longuement travaillé avant de se lancer dans cette élection ( = cette lutte pour le pouvoir) : la rhétorique.

Bien entendu, il pourrait tout aussi bien assumer son ignorance sur tel ou tel sujet, mais, semblerait-il, un tel exercice de modestie n’est pas électoralement récompensé, d’autant plus face à des concurrents qui font semblant de tout savoir, et que le président de la République en France est si puissant, qu’on lui demande précisément de tout savoir sur tout !

Voilà le trait d’union commun entre tous les candidats et élus politiques : l’usage de la rhétorique ! Car, en un sens, la rhétorique, et les éléments de langage qui sont déployés, sont ce qui permet à l’élection de rapprocher du modèle d’une élection méritocratique, au moins en parole puisqu’elle ne peut pas pleinement se traduire en acte avant d’avoir obtenu son mandat d’élu.

Cela signifie également que, si on a tendance à considérer que les sciences-pistes, et même plus encore les énarques – dont François Hollande qui est passé par le triptyque Science Po Paris, HEC, ENA est la plus grande caricature – sont incompétents pour gouverner et nous représenter, ils ne le sont pas plus que ceux issus de d’autres formations, ils ont même toutes les cartes en main pour l’être moins, incompétents.

En effet, ce qui semble véritablement important pour élire un représentant, n’est pas principalement sa compétence politique, mais davantage sa capacité à faire de la politique une œuvre collective, où les experts ne sont plus simplement invités à prendre la parole et à publier des rapports, mais aussi avoir du poids dans les décisions démocratiques.

Le rôle du représentant est alors de juger, de comprendre et de sélectionner les bonnes idées, les plus rigoureuses et rationnelles, et d’abandonner les mauvaises idées, les plus crédules et fantaisistes.

On doit pouvoir avoir confiance en son intégrité, et à sa capacité de faire confiance à la raison.

On cherche donc un élu qui a un esprit critique et un sens de la justice développés, et qui est capable d’attiser ceux des citoyens.

Dans un monde démocratique idéal, juger de ces deux qualités, esprit critique et sens de la justice, serait fondé sur la qualité de la rhétorique, mais même si cet idéal n’est pas atteint, la rhétorique reste déterminante pour juger les candidats et les élus, car comme nous l’avons vu précédemment, la « mauvaise » rhétorique ne cherche pas être comprise et contestée, elle est donc perfide et ne fait pas appel à la raison, tandis que la « bonne » rhétorique, argumente autant que faire se peut sur des arguments rationnels, et cherche à être comprise sans vices, pour communiquer au mieux.

Avoir suivi un cursus en sciences politiques, n’a donc rien d’essentiel pour être un bon représentant politique, bien que cela soit récurent.

Ainsi donc, nous pouvons conclure à l’essentialité, non seulement des éléments de langage, qui servent à cadrer le propos des mouvances politiques (de façon plus ou moins fine), mais aussi des formations en sciences politiques, qui forment tout autant d’administrateurs et d’intellectuels essentiels pour assurer une vitalité démocratique.

Mais aussi, nous devons critiquer et condamner, les éléments de langage, ainsi les rhétoriques pauvres, constituant les formules creuses ainsi que les intellectuels creux, et plus encore quand il ne s’agit plus seulement de combler un vide, mais de manipuler.

Les manipulations rhétoriques :

Au vu de toutes les définitions énoncées auparavant, la définition de la manipulation rhétorique est toute simple : Il s’agit de faire usage de la rhétorique dans l’intention et l’objectif de manipuler.

Malgré tout, cette définition fait polémique dans le débat d’idées, notamment parce que souvent s’opposent, les discours des rhétoriciens, qui considèrent que la rhétorique est une arme contre la manipulation, tandis que les chez les non-adeptes, la position dominante est de considérer que la rhétorique est une arme pour manipuler.

Cette opposition a en plus tendance à se renforcer, dans la mesure où le rhétoricien sera toujours reproché d’utiliser la rhétorique pour faire apparaître la rhétorique sous un jour positif (qu’il le fasse avec de bons arguments ou non), tandis que les non-adeptes se sentiront encore et toujours plus manipulés quand on leur présente la rhétorique sous un jour positif, et penseront devenir des manipulateurs s’ils s’en saisissent.

En bref, on reproche toujours au rhétoricien de manipuler (sens moral) son auditoire, car il manipule (sens technique) le discours.

Cette situation a débouché sur la naissance d’un nouveau consensus, selon lequel faire de la rhétorique, c’est forcément toujours un peu manipuler, même quand on n’en a pas ni l’intention ni l’objectif.

Ce faisant, la rhétorique ne serait jamais bien loin de la manipulation.

Ce consensus est lui-même à l’origine lui-même de 2 phénomènes qui, dépassant la rhétorique individuelle (de celui qui parle), ont profondément changé notre rapport à la rhétorique.

1er phénomène : L’émergence des sciences de la communication et du marketing.

Tout d’abord, l’émergence des sciences de la communication, qui ont popularisé le marketing et « la com » de masse, couplé à la possibilité de diffuser et de rediffuser la parole publique, a créé une situation inédite dans l’ordre de la communication humaine. Alors que la communication humaine était majoritairement produite ET reproduite par des humains, la production de communication a aujourd’hui été rationalisée, industrialisée, automatisée.

Les sciences de la communication détermine à partir d’études et d’enquêtes statistiques, la demande de communication et ainsi répondre par une offre de communication adaptée. La science de la communication a la même capacité de produire des imaginaires que la rhétorique, mais elle ne possède pas la même capacité argumentative, car elle n’est pas directement produite par les humains qui l’emploient, et aussi parce que la communication est conçue pour durer, et donc, non pas pour être réfutable.

La rhétorique n’est donc plus individuelle, comme étant le fruit d’un seul homme, mais c’est une rhétorique collective, fondée pour les intérêts d’une organisation, et celles si sont beaucoup plus susceptibles de créer et répéter des éléments de langages, car tous les corps constituant l’organisation devront s’en emparer et les prononcer.

Il apparaît alors comme une évidence, l’opposition fondamentale entre rhétorique et communication, alors que leurs usages et fonctions sont si proches :

La rhétorique est produite et prononcée par des hommes, pour promouvoir des idées et discuter du sens.

La communication est produite par une science, une mécanique bien huilée, pour pouvoir ensuite être employée invariablement par des vendeurs, des slogans, des marques ; pour promouvoir des produits et leur donner du sens.

Et quand des idées commencent à devenir des produits, on comprend que l’on commence à confondre rhétorique et communication, à condition que l’on considère la communication uniquement comme l’usage de la science de la communication, de la même façon que la rhétorique désigne l’usage de la science de la rhétorique, car, comme nous l’avons vu, dans l’absolu, la rhétorique sert aussi à communiquer.

Ainsi, ce qui semble séparer la rhétorique de la « com », est probablement ce qui sépare actuellement l’homme de la machine. Et si la rhétorique est l’art de mettre la langue de l’homme en mouvement, la « com » nous semble être une langue mécanique, une langue machine, le marketing faire pire encore, à force de segmenter sa communication, elle nous semble être devenue une langue inhumaine : elle est absurde, surréaliste.

2ème phénomène : La formation de bulles sociales

Le second phénomène est politique et social.

A trop se méfier de la rhétorique, par ignorance, par peur ou par impuissance, les hommes croient moins qu’auparavant qu’il est possible de convaincre leurs semblables, et même qu’ils soient possibles de communiquer avec eux.

Se faisant, tous se renferment dans une bulle sociale, où ils peuvent discuter avec des gens qui leurs ressemblent, et qui pensent comme eux, ce qui d’autant plus facile avec Internet, qui a presque fait disparaître les frontières géographiques de la parole.

De plus, la rhétorique machine que nous avons abordé précédemment, aggrave ce phénomène.

Car, puisque la communication commerciale et la communication politique, s’inspirent l’une l’autre, et qu’on les confond de plus en plus, le dilemme que l’on a retrouvé plus haut, pourra amener les non-initiés de la rhétorique, à ne plus croire en aucun discours, par principe, car il a été établi que la politique et la « com » étaient une seule et même chose, et qu’elle avait vocation à être une langue figée.

Pour François Ruffin, cette situation fait aujourd’hui de la langue gouvernementale une « langue morte », et on pourrait en dire tout autant de la langue commerciale.

Car le résultat est le même, on ne croit plus en la vertu de la parole rhétorique, se faisant le peuple/les consommateurs la déserte, tandis que le pouvoir, économique et/ou politique, continue de l’employer et de s’en servir car la parole rhétorique leur permet de maintenir et d’accroître leur pouvoir.

Ainsi, au jeu de la décrédibilisation de l’ensemble de la parole (politique, économique, religieuse, scientifique, …), la rhétorique y perd bien plus que le pouvoir, on pourrait alors en déduire, avec une inquiétude certaine, que l’intérêt du pouvoir est d’anéantir la rhétorique, ou plutôt d’en monopoliser l’usage.

Langue morte :

Langue mécanique :

Nécessité de la langue de bois pour la légitimation du pouvoir :

La rhétorique : une science de la manipulation ?

[Extrait de Rhétorique, public et « manipulation » de Guillaume Soulez] https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2004-1-page-89.htm

Pour aller plus loin : Combattre et se servir de la rhétorique

Je vous recommande vivement de porter l’oreille au travail de 4 chaînes Youtube, qui vous donneront une illustration des manipulations rhétoriques, mais qui vous permettront également de mieux comprendre les notions de pouvoir, de manipulation et de rhétorique.

Cela améliorera non seulement votre auto-défense, pour lutter contre les manipulations, mais aussi votre usage de la rhétorique, pour défendre des causes justes, comme le disait (sans forcément le penser) Cicéron.

Le Stagirite :

La chaîne se concentre sur la rhétorique politique. Je vous conseille notamment la série des LDB (Langue de bois) et des Topoï (attention, le son est de mauvaise qualité dans les 2 premiers épisodes, ils restent cependant très bon). La vidéo à voir absolument est le LDB n°9 – Le pouvoir des mots – Spécial Langue de Bois, dont j’ai montré plusieurs extraits dans cet article :

Cette vidéo est une synthèse du travail de la chaîne, qui fait un travail de décorticage à la jonction entre philosophie politique et rhétorique.

Horizon Gull :

Une excellente chaîne pour interroger nos biais cognitifs aussi bien individuellement que collectivement. Dépassant la rhétorique, elle décrypte d’autre langages du pouvoir (le costume, le mythe, …), décrypte les psychologies de groupe, nous interroge sur le bien fondé des techniques d’acquiescement et autres procédés de manipulations.
Son ajout le plus singulier est sûrement la notion centrale de Hacking Social, qui consiste à développer des outils permettant de hacker la société pour la rendre meilleure (cela s’inspire de la culture du hackeur qui bidouille).

Vraiment beaucoup trop de bonnes vidéos sur chaîne, je vous les recommanderais toutes !

Lien de la chaîne : https://www.youtube.com/channel/UCGeFgMJfWclTWuPw8Ok5FUQ/videos

Mais pour servir notre propos voici ma sélection :
-L’habit fait le moine ET la soumission au costume [Les 2 premières vidéos de la chaîne d’ailleurs]

Autres vidéos :

– La France a peur : le syndrome du grand méchant monde
– « Il aura la femme ! » Mythologie publicitaire de la voiture
– Pourquoi les américains nous paraissent-ils idiots ?
– Zoom – La recette de Valeurs Actuelles

Clique TV :

Chaîne sur laquelle Clément Viktorovitch, chroniqueur et spécialiste de la rhétorique, déconstruit les éléments de langage et les formules rhétoriques des personnalités publiques. La chaîne est en plus en phase à l’actualité, donc ça fait souvent une pierre 2 coups.

2 exemples de vidéos :

Le point Godwin de la rhétorique :

« Il faut savoir terminer une grève »

Victor Ferry :

Le moins « antisystème » du lot, sa chaîne n’en reste pas moins excellente, notamment parce qu’elle donne des outils pratiques pour construire et améliorer sa rhétorique.

De plus, il mobilise des références classiques de l’étude de la rhétorique. Professeur de rhétorique (ou de droit, à vérifier), il a un aspect plus conventionnel que les autres n’ont pas, il est également le plus neutre sur le plan politique.

Commençant tout juste à le suivre, je ne saurais vous désigner un must-watch de la chaîne, cependant cette vidéo est une très bonne entrée en matière, d’autant plus qu’elle démonte idée reçue particulièrement tenace, qui est enseignée comme une vérité en école de commerce, et qui m’agace au plus haut point :

L’arnaque de la communication non verbale :

Cas pratique : Extrait du Guide de la lettre de motivation de Michel Holtz

A l’aide de la lettre de motivation, ainsi que des commentaires de forme et de fond faits à la fin, déterminez en quoi une lettre de motivation, fait appel à l’usage de la rhétorique, et qualifiez cette rhétorique, selon qu’elle soit une formule creuse, un élément de langage, une manipulation rhétorique, ou au contraire un usage fin et approprié de la rhétorique.

Concentrez vous davantage sur le fond que suggère la forme, que sur la forme de la lettre elle-même.

Eléments autour desquels structurer votre réponse à ce cas pratique :

Usage de la rhétorique :

Eléments de langages et formules creuses employées :

Solutions pour rédiger une lettre de motivation rhétoriquement efficace et non viciée :

Conclusion :

Pour terminer, j’aimerais m’adresser à ceux qui peuvent parfois penser (j’en fais partie), que l’humanité se porterait mieux sans la rhétorique, qui n’en finit plus de remplacer le sens des choses par le sens des mots.

A ceux-là je leur demande d’observer le caractère structurant du langage, plutôt que sa structure elle-même ; car un langage ce n’est pas que des mots, c’est un ensemble de signes et de symboles auxquels, nous êtres vivants, donnons du sens.

Or le langage, la plupart du temps, donne du sens aux choses qui existent, notre particularité à nous autres humains, est peut-être d’être parvenu à transcender l’existence par nos imaginaires, et ainsi donner du sens à des choses qui ne sont en rien matérielles (que l’on appelle plus communément les idées et les pensées).

Et nous sommes accoutumés, aujourd’hui peut-être plus que jamais, à ce que l’on parle avec bien plus que des mots, que l’on nous suggère des désirs que l’on formule rarement de pleine voix, et que l’on nous partage la souvenance de choses que l’on ne nous a jamais dites.

Nous nous sommes habitués à écouter des mediums ( = médias au sens très large) qui nous informent de tout ce que l’oralité transmet moins vite et moins clairement, car nous sommes capables de lire bien plus vite que nous pouvons parler, et interprétons les images, les musiques et les senteurs encore plus vite, sans toujours nous en rendre compte.

Et finalement, à partir de ces idées plus ou moins imaginaires, nous avons constitués des mythes qui, bien que nous ne les tenions jamais tout à fait pour réels, colonisent nos imaginaires et déterminent nos vies.

La prolifération inexorable de cette rhétorique silencieuse, met alors en lumière l’importance vitale de maîtriser la rhétorique des mots.

Il ne s’agit rien de moins, que de donner du sens à l’existence, dont le sens échappe la majeure partie du temps à notre parole ; il s’agit de structurer notre existence et celle du monde, afin d’en comprendre le caractère structurant.

Pour vous le démontrer, faisons plusieurs essais pour comprendre en quoi l’existence détermine votre existence (# construction tautologique, check).

On commencera d’abord par dire que « Notre existence détermine notre existence », puis nous en déterminerons, par exemple, la temporalité, en déclarant que « Notre existence détermine la suite de notre existence ».
Ce langage peut aussi de l’existence, qualifier l’interdépendance, en déclarant que « Votre existence détermine notre existence ».

Qu’il en plaise ou qu’il en déplaise aux « manipulateurs de symboles » (L’économie mondialisée, Robert Reich), les possibilités offertes par le langage des mots sont pratiquement infinies, et on ne cesse de découvrir depuis que les mots existent, ce qui remonte à plusieurs millénaires, de nouvelles façons de partager et de transmettre le savoir par celui-ci.
Bien entendu, la tâche est parfois ardue, à tel point que le mérite des auteurs et orateurs, repose toujours plus ou moins sur le mieux dire d’une idée dont l’existence remonte parfois à des millénaires, que le dire d’une idée nouvelle.

Il serait pourtant dangereux d’affirmer, que l’usage des mots est compliqué, au sens que nous serions plus inaptes à en interpréter le sens que pour d’autres formes de langage ; il vaut mieux dire que l’usage des mots est complexe, car ce langage est le plus riche que nous possédions, et donc celui qui exprime le plus de sens.

Il est selon moi temps de cesser de se résigner à penser que la « pensée complexe » (vantée par un certain E.Macron) s’exprime par des propos qui soient le plus difficilement compréhensibles.

Au contraire, il faut admettre que cette pensée s’exprime par les mots qui mis ensemble ont le plus de sens, expliquant sûrement pourquoi il nous faut mobiliser plus d’effort pour les comprendre, car c’est une quête perpétuelle qu’est la quête de sens (car rappelons-le : « L’existence détermine l’existence »).

Et si on dit que « un silence vaut parfois mille mots », il ne faut pas pour autant oublier que le plus souvent, quelques mots valent bien plus qu’un long silence, qu’un petit « je t’aime » fait toujours plaisir à entendre et qu’un simple « Bonjour, tu vas bien ? » brise déjà mieux la glace qu’un froid silence.

Ainsi, pourvu qu’on s’y attarde, le langage des mots semble être l’une des Augures les plus critiques de l’existence humaine, et donc l’enseignement de la rhétorique l’un des clés de voûte de la pensée et de l’esprit critique.
Mon blog, l’Augure, sur lequel je publie cet article, poursuit cette vocation.

Enfin, je vous laisse sur cette citation de Victor Hugo, Carnets Intimes, 1870-71, qui montre à la fois que la rhétorique doit craindre la vulgarité, et pourtant faire de la vulgarisation, pour être appréciée à sa juste valeur.

La bonne vulgarisation scientifique :

Liens et mots de l’auteur

Lien les commentaires des Essais de Montaigne : https://drive.google.com/file/d/1fpRfecGTzCb16JanS9cU5d7yoLMhvzix/view?usp=sharing

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