Philo Confinée n°4 : Mort expérimentale [De l’exercitation]

 Note introductive : L’article est bien plus long qu’à l’accoutumée, n’hésitez pas à le lire en plusieurs fois (j’ai mis des XXXXX… pour le couper en plusieurs parties) et à revenir pour explorer l’ensemble des concepts qui sont présentés ici, mais aussi pour aller consulter les liens Internet et Youtube.
De plus il n’y aura pas d’article avant le week-end prochain afin de me permettre de prendre de l’avance afin de continuer à publier pendant notre période de partiels. Bonne lecture à tous.

Bonjour à tous,

Bienvenue dans ce 4ème numéro de Philo Confinée, et notre 2ème numéro sur l’exercitation (cf. 3ème numéro).
Avant toute chose, si aujourd’hui nous allons parler de mort expérimentale, sachez que celle-ci n’a généralement rien de morbide, ni de déprimant puisqu’elle n’est qu’un simulacre de mort, ou comme dirait Montaigne, une façon d’apprivoiser la mort sans avoir à l’expérimenter.

Ainsi, la notion que je vais vous présenter aujourd’hui, la Mort Expérimentale, fait référence à l’ensemble des « petites morts » que nous expérimentons au quotidien, parmi lesquelles les plus grandes et les plus conséquentes sont le Sommeil et l’Evanouissement.
Elles ne se différencient que par leur caractère plus ou moins involontaire : en effet, le Sommeil est un fonctionnement naturel du vivant (bien que nous ayons de plus en plus tendance à lutter contre lui), alors que l’Evanouissement est un dysfonctionnement, que nous expérimentons lorsque la différence entre la violence et la fulgurance du choc, et les souffrances qu’il engendre, est trop importante.

Si du Sommeil nous allons parler brièvement, afin de mieux comprendre comment interpréter nos expériences de mort expérimentale, même les plus bénignes, afin qu’elles ne soient plus des « temps morts » de notre existence, de l’Evanouissement nous parlerons bien peu, en tout cas pas dans sa forme la plus littérale.
Pour en apprendre plus sur ces 2 archétypes de mort expérimentale, je vous recommande chaleureusement la 2ème partie du commentaire sur l’exercitation (pdf « de l’exercitation), disponible au lien suivant :
https://drive.google.com/drive/folders/1ilBzme5w0JtPSrql-LJgMl1-UTKBfvyb?usp=sharing
Et en exclusivité, la chronique du confinement de Michel de Montaigne dans son château à cause de la guerre, entre 1567 et 1570, soit plus de 2 ans de confinement.

Revenons-en donc à la mort expérimentale, qui peut être définie de façon très large, comme l’ensemble des expériences de la vie durant lesquelles la conscience n’a plus conscience d’être elle-même.

Or, pour que la conscience se perde, on ne peut imaginer que 2 scénarios :
1. Notre conscience est trop distraite par quelque chose
2. Au contraire elle est trop concentrée sur quelque chose pour se concentrer sur elle-même.

Par conséquent, scroller sur un réseau social, regarder une série ou un film, jouer à un jeu vidéo, lire un livre, …, toutes ces activités monopolisent notre attention de telle façon que nous ne sommes pas toujours conscients d’exister. (*nous parlerons à la fin de l’article de l’activité sociale, qui agit différemment sur la conscience)

On peut alors s’apercevoir que, paradoxalement, la plupart des instants que nous considérons comme des expériences de vie, sont en réalité autant de morts expérimentales partielles que nous expérimentons au quotidien.
On peut aussi noter, que dans ce cadre théorique, le fait de se déconcentrer (= la distraction) d’une activité, ou de se focaliser sur cette activité (= la concentration), entraîne tout autant de perte de conscience, selon l’ampleur de cette (dé)concentration.
Et ainsi que, le meilleur moyen de rester conscient de soi-même, est encore de ne rien faire, afin de pouvoir se consacrer pleinement à sa conscience.

Pourtant ce plein Ennui, nous nous y refusons. 2 raisons nous amènent à traquer l’Ennui avec un tel zèle et une telle application :

1. Une raison métaphysique tout d’abord, car le fait de rester en activité permet d’éviter de se retrouver seul avec nos pensées, et de devoir se poser des questions essentielles et existentielles gênantes pour notre quiétude mentale, concernant généralement l’identité, la vie et la mort.
Un tel raisonnement a pour origine le concept de divertissement pascalien (Pascal, Pensées), qui décrit à merveille la façon dont nous menons notre vie en période de confinement.
Je vous invite à aller voir Le Coup de Phil’ #3 de Cyrus North (3 minutes), pour en apprendre plus sur le divertissement pascalien :

« Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre. » – Blaise Pascal

2. La seconde raison est une raison sociale : dans une société où l’hyperproductivité est valorisée, tout comme la vitesse et l’efficience, on culpabilise bien souvent de ne « rien faire » ou même de « perdre son temps ».
Par conséquent celui qui s’ennuie est toujours celui qui gâche l’opportunité de rentabiliser son temps, et on peine à concevoir l’ennui comme une opportunité en soi. Il vaut d’ailleurs mieux s’ennuyer en solitaire, mais jamais sous le regard d’autrui.

De cette lutte contre l’ennui, cette lutte pour l’action, nous pouvons en tirer 3 conclusions, qui, me semble-t-il, remettent en cause tous nos présupposés de départ :

1. Comme nous l’avons vu, le divertissement pascalien occupe la majeure partie, si ce n’est quasiment la totalité de notre existence consciente.
Or, comme nous l’avons défini, pratiquer le divertissement pascalien, c’est perdre la conscience de l’essentiel, c’est-à-dire le soi (Qui suis-je ?), la vie (Que fais-je ?) et la mort (Où vais-je ?), c’est donc pratiquer la mort expérimentale.
Sachant que le Sommeil, qui occupe déjà plus du tiers de notre existence, est une expérience de mort expérimentale par excellence, et que nous passons la majeure partie de notre temps conscient (comprendre « notre temps éveillé »), à ne pas avoir conscience de l’essentiel (comprendre « être quelqu’un de vivant qui va mourir un jour »), pouvons-nous simplement nous considérer comme des êtres vivants, ou comme des êtres endormis qui parfois expérimentent l’expérience de la vie de façon fortuite et exceptionnelle ?
A moins de reconnaître que les expériences de mort expérimentales, la plupart du temps, soient davantage des expériences de vie que de mort, et qu’à ce titre elles sont des expériences du vivant (Montaigne disait de la Mort que « il y a quelque façon de nous apprivoiser à elle, sans l’essayer aucunement », et cette façon, c’est la mort expérimentale).

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2. Puisque les périodes où ne sommes pas en mort expérimentale sont rares, nous pouvons inverser le paradigme de la vie.
Si la mort expérimentale est le divertissement pascalien, alors la vie expérimentale est l’état de pleine conscience, libérée de toutes les activités quotidiennes, où nous-sommes alors capables de penser pour nous-mêmes et de prendre les décisions qui forgerons notre vie.
Tout ce que nous faisons pendant notre mort expérimentale éveillée, a été au préalable décidé par ces quelques instants de vie expérimentale que nous avons réussi à constituer.
On pourrait ainsi considérer que nous accordons beaucoup de temps aux moyens de notre existence (=le divertissement pascalien), mais finalement très peu à nos fins, et même à notre fin (=la pleine conscience, qui permet d’exister et de savoir que l’on va mourir un jour).
Cependant, si le divertissement pascalien est une chose vers laquelle on tend naturellement, il ne faut pas toujours y céder, au risque de se forger des habitudes qui, bonnes ou mauvaises, seront impossibles à déconstruire et à interroger, elles deviendront des activités insignifiantes (= qui n’ont peu ou pas de sens) et figées (=qui ne peuvent pas évoluer ou changer).
Tout porte à croire que le divertissement pascalien viendrait nourrir notre cerveau inconscient, alors que la pleine conscience viendrait nourrir notre cerveau conscient, qui aurait alors un plus grand champ d’action pour piloter le cerveau inconscient.

C’est pour cette raison que, dès la fin des années 1970, des chercheurs du MIT (Massachussetts Institute of Technology) cherchent à mettre au point un protocole qui permettrait à l’esprit humain d’atteindre la pleine conscience dès qu’il le désire.
Ainsi a été mise au point la technique de méditation qui est encore aujourd’hui la plus enseignée et la plus pratiquée aujourd’hui : Le « Mindfulness » (= pleine conscience en français).
On prête à cette technique de méditation de nombreuses vertus, notamment la réduction du stress (pathologique ou non), ou encore l’amélioration de la créativité et de la prise de décision.
On aurait même démontré depuis qu’elle avait un effet significatif sur la santé et le bien-être à long terme des personnes qui la pratiquaient …
Je vous laisse les liens de l’ADM (association de développement de la mindfulness) pour vous faire votre propre opinion sur le sujet.
https://www.association-mindfulness.org/quest-ce-que-la-mindfulness.php
http://www.mindfulness-paris.fr/

Cependant j’aimerai vous partager mon expérience de la Mindfullness, que j’ai pu pratiquer dans 2 contextes très différent :
1. La 1ère fois auprès d’une kiné alors que je corrigeais une scoliose (légère rassurez-vous)
2. La 2ème fois auprès d’un membre de l’ADM qui nous a donné des cours de mindfulness au lycée lorsque je vivais à Boston.

La 1ère fois j’y ai surtout appris des exercices de respiration qui me servent encore aujourd’hui dans de nombreux domaines (sport, art oratoire, échauffement de la voix, lutte contre le stress, …), qui tiennent dans 3 conseils de respiration consciente :
1. Respirer par le ventre plutôt que le haut de la cage thoracique
2. Respirer par le nez et expirer par la bouche
3. Inspirer profondément, expirer lentement

Le fait de se concentrer sur sa respiration permet de mieux respirer que de respirer de façon inconsciente (car on a pris des habitudes plus ou moins bonnes), mais aussi maîtriser son temps et son attention (= « on ne se précipite pas et on se concentre).
A noter que cette « respiration » peut potentiellement s’appliquer à tous les aspects de votre vie, que vous maîtriserez mieux si vous le faites de façon consciente qu’inconsciente.
Ne vous reste plus qu’à déterminer ce sur quoi porter votre attention en priorité (car votre attention est volatile, et n’est pas infinie).

Ma seconde expérience du Mindfulness fut le prolongement de cette première expérience, cependant je ne pense pas que ce prolongement fut utile.
En effet, notre professeur de l’ADM n’a ajouté à ma formation que le fait de fermer les yeux et d’ignorer un instant le monde qui m’entoure et de vider mon flux de pensée, 2 points parfaitement inessentiels (mais pas forcément inutiles) pour atteindre la pleine conscience.
Rajoutez à cela l’utilisation d’un gong tibétain qui me donnait l’impression de faire de la magie vaudou, l’enseignement de quelques banalités sur l’intelligence émotionnelle (vous en avez appris bien plus dans le n°2 de Philo Confinée) ainsi que de « sciences » ésotériques sans aucun fondement scientifique véritable comme la « mémoire de l’eau » ,concept dont la vacuité/vide scientifique a depuis été démontré de façon certaine :

https://www.lemonde.fr/sciences/article/2010/12/07/le-professeur-montagnier-et-la-memoire-de-l-eau_5980367_1650684.html

Cela a suffi à me prouver que l’ADM ne reposait sur rien de bien sérieux, bien que le concept de pleine conscience soit à conserver (selon l’enseignement de ma 1ère expérience du Mindfullness).
Ainsi, j’ai appris davantage de la pleine conscience auprès de ma professeure de théâtre qu’auprès de la professeure de l’ADM (mais j’aurai l’occasion d’y revenir dans un prochain numéro).

Pour conclure sur ce point, gardez à l’esprit que les méditations de type Mindfulness sont seulement un point de bascule qui permet de passer du monde inconscient au monde conscient et de se rapprocher de la pleine conscience, et que chacun d’entre nous peut développer sa propre technique de « méditation » à condition de respecter les 2 points suivants :
Formuler dans votre tête ou à voix haute que vous terminez l’activité que vous êtes en train de faire et que vous prenez du temps pour vous avant l’activité suivante.
Se couper de tout stimuli intellectuel (musique, appareils numériques, textes, interactions sociales, …), vous pouvez faire le ménage par exemple.

Autrement, vous pouvez expérimenter toutes les méditations possibles, jusqu’à trouver celle qui vous rapproche le plus de la pleine conscience (= où vous vous posez les questions existentielles et essentielles sur l’identité, la vie et la mort).

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3. Comme promis en début d’article (*), nous allons enfin nous pencher davantage sur L’expérience/l’activité sociale, qui se différencie de nombreuses activités que l’on peut qualifier de divertissement pascalien, dans la mesure où l’interaction avec autrui à divers effets sur notre conscience.
Pour revenir sur la mort expérimentale, l’activité sociale l’est plus ou moins en fonction du degré d’implication que l’on a, non pas vis-à-vis de la relation sociale dans son ensemble, mais l’attention qu’on lui porte dans l’immédiat.
Cette distinction nous permet d’observer 4 niveaux de conscience, que l’on pourrait par ailleurs observer pour les autres activités.
Niveau 1 : La relation fonctionnelle. Elle répond à un besoin ou une finalité qui n’est pas la relation sociale (Ex : Appeler son groupe de travail pour travailler). Tout comme manger ou boire, cette activité n’a pas de conscience et n’est même pas un divertissement pascalien. Elle répond à un objectif de survie.
Niveau 2 : La relation superficielle. Sa finalité est la relation sociale, mais elle établit une interaction portant sur le contexte, la contingence et la futilité, plutôt que l’identité et les sentiments. Elle est une expérience de mort expérimentale à part entière.
Niveau 3 : La relation affectio-fonctionnelle. Cette relation sociale est importante pour mon bien-être et pour celui des personnes qui y sont incluses. L’interaction englobe la relation superficielle mais la dépasse car elle porte également sur les pensées, les opinions, les sentiments des personnes.
Nous sommes invités à parler de nous et de notre vie de façon plus sincère que dans la relation superficielle. Si elle est toujours une expérience de mort expérimentale, elle laisse la place à la pleine conscience par intermittence.
Niveau 4 : La relation fusionnelle. Ce type de relation sociale existe quand vous êtes sur la même longueur d’onde et/ou que votre interaction peut également porter sur les questions essentielles et existentielles.
Il s’agit donc du moment où vous êtes capables de philosopher avec autrui comme si vous philosophiez avec vous-mêmes.
Il est à noter que la frontière entre philosopher de façon superficielle (Niveau 2) et philosopher de façon essentielle (Niveau 4) est souvent mince, autant que l’est la frontière entre mort expérimentale et pleine conscience.

Cependant, n’oubliez pas que l’on parle ici du niveau de conscience vécu dans l’instant de la relation et que celui-ci est complètement décorrélé des sentiments que vous éprouvez pour autrui. Vous pouvez entretenir (et même, vous entretenez la plupart du temps) des relations de Niveau 1 et 2 avec vos meilleurs amis, et une relation fusionnelle de Niveau 4 ne signifie pas que vous ayez trouver l’âme sœur.

Ainsi, l’expérience sociale de Niveau 3 ou 4 peut permettre d’accéder à la pleine conscience alors que vous n’êtes pas seul avec vos pensées, ce qui permet d’entrevoir un « mindfulness » collectif. Cela signifie aussi que, inversement, vous pouvez simuler des expériences de Niveau 3 ou 4 en étant seul, le Niveau 3 correspondrait à la tenue d’un journal intime ou d’un « bullet journal » pour rester à jour de ses sentiments, ses souvenirs, ses valeurs, ses projets, …, le Niveau 4 pourrait être atteint quand vous parlez tout seul (parfois à voix haute) en discutant de questions existentielles et essentielles (= en philosophant). J’ai donc probablement plusieurs fois atteint le Niveau 4 durant la rédaction de cet article.

En fin de compte, suite à l’expérience et à l’analyse de la mort expérimentale, on peut se poser les questions suivantes :
Quelle leçon tirer du confinement ? (= comment atteindre la pleine conscience en confinement ?)
Quand est-ce que l’on meurt, quand est-ce que l’on vit ? (=comment différencier la mort expérimentale vivante et la mort expérimentale morte ?) Faut-il affronter la mort pour vivre ? (= comment utiliser la pleine conscience pour rester soi-même et ne pas devenir/rester un « mort-vivant » ?)

Une brève réponse à ces questions serait la suivante :
Ne pensez pas que les moments où vous ne faites rien sont ceux où vous vivez le moins, ce sont plutôt les moments où faites des choses qui ne signifient rien pour vous qui devraient vous inquiéter.
Il vaut mieux ne rien faire que faire quelque chose qui ne signifie rien, car véritablement rien faire signifie toujours quelque chose (=pleine conscience).
Pour vous y retrouver, appliquez systématiquement le principe d’économie de l’attention : Portez votre attention sur ce qui signifie beaucoup pour vous, passez y plus de temps, portez attention sur ce qui ne signifie rien pour vous, cessez de perdre votre temps, il vaut encore ne rien faire.

Pour une réponse plus approfondie, je vous renvoie aux sources ci-dessous (allez au moins voir les 2 premières) :

Confinement : Ennui et créativité :

Spline LND : Je n’arrive pas à travailler

Philosophie Zombie :

https://www.wikiwand.com/fr/Zombie_(philosophie)

Monsieur Phi : Sommes-nous tous des zombies ?

Economie de l’attention :

https://www.wikiwand.com/fr/%C3%89conomie_de_l%27attention

Yves Citton – L’économie de l’attention nouvel horizon du capitalisme ?

Vidéos de la chaîne Stupid Economics :

Economie de l’attention: Commencement

Economie de l’attention: la fin est proche

Pouvoir des habitudes

http://ressources.be/blog/le-pouvoir-des-habitudes-charles-duhigg

https://des-livres-pour-changer-de-vie.com/le-pouvoir-des-habitudes/

A la semaine prochaine pour le 5ème numéro de Philo-Confinée
Pouce et partage pour que l’on soit plus nombreux à s’exerciter (=exercitation) tous ensemble.

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